Mme Hidalgo, le confinement et la densité urbaine

Dans un article du Parisien, Anne Hidalgo, maire de Paris, affirme qu’il faut aller vers un confinement beaucoup plus sévère.[1]HENRY

Du coup, plusieurs questions se posent immédiatement.

Que penser de la densification urbaine dans les centres-villes? Est-ce que ce type de politique est la panacée[2]Panacée, n.f., du grec panakeia. Remède universel à toutes les maladies. Sens figuré : prétendu remède à tous les problèmes (notamment moraux, sociaux). LAROUSSE, Petit Larousse en couleurs, Paris, Larousse, 1990, 1720 p à toutes les vulnérabilités de la Région parisienne, dont la Ville de Paris est l’hyper-centre [3]La vulnérabilité est la qualité de ce ou celui qui est vulnérable, qui est susceptible d’être exposé aux atteintes physiques ou morales. Le concept peut être appliqué à une personne ou à un groupe social suivant s’il est capable de prévenir, de résister et de faire face à un impact. Le dico des définitions, le 23 janvier 2012, [consulté le 27/03/2020]. Disponible sur : http://lesdefinitions.fr/vulnerabilite . Lire aussi : La vulnérabilité exprime le niveau d’effet prévisible d’un phénomène naturel (aléa) sur des enjeux (l’homme et ses activités). Elle est traduite en anglais par les termes vulnerability ou sensitivity. Elle évalue dans quelle mesure un système socio-spatial risque d’être affecté par les effets néfastes des aléas. ENS de LYON, “Vulnérabilité” in Géo-confluences – Ressources de géographie pour les enseignants, décembre 2015, [consulté le 27/03/2020]. Disponible sur : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/vulnerabilite ?

Peut-être serait-il temps de mettre fin à l’archaïsme d’une commune-département théoriquement indépendante, mais urbanistiquement et économiquement en complète symbiose avec l’ensemble de la mégalopole francilienne? A quand une délimitation administrative de Paris qui corresponde à la réalité quotidienne de la zone urbaine parisienne? En effet, depuis 1930, date du dernier agrandissement de la Ville de Paris, avec l’annexion des bois de Boulogne et de Vincennes et des abords de l’enceinte de Tiers[4]SUBRA Philippe, 25 questions décisives : le Grand Paris, Paris, Armand Colin, 2009, p 21 & 22, la croissance de la zone urbaine s’est faite en-dehors de la capitale administrative. Même si, l’Etat s’est retrouvé confronté à de multiples révoltes sociales au XIXe siècle, au sein même de Paris, puis aux tensions du Parti Communiste qui s’est développé dans les banlieues rouges au cours du XXe siècle, aujourd’hui, à l’heure des mégalopoles et de leurs vulnérabilités à l’échelle régionale, et à l’époque d’Internet, les données urbanistiques ont profondément changé. Même si les tensions restent, comme toujours, autour du partage des richesses produites par la ville, l’organisation quotidienne de ces immenses zones urbaines a été modifiée : on a davantage de connexion entre les tissues urbains, le transport aérien s’est démocratisé, la gestion du pouvoir et de l’information est devenue plus horizontale (moins hiérarchique),  les relations de partenariat / concurrence entre les différentes capitales politiques et/ou économiques se sont élargies. 

Peut-être serait-il opportun de procéder à l’organisation démocratique de l’ensemble de la Région parisienne, non pas sous la férule de l’Etat comme ce fut le cas jusqu’en 1977, mais bien celle d’un élu qui chapeauterait l’ensemble soit de l’Ile-de-France soit de la zone urbaine de la Région (environ 25% du territoire francilien)? Nous n’aurions plus un groupe de structures inter-communales plus ou moins en concurrence mais une seule région élisant son responsable qui gérerait, pour la partie publique, l’ensemble des réseaux. Ainsi, toute décision concernant par exemple une mesure de prévention sanitaire, ou bien relative aux transports individuels ou collectifs, serait à la fois prise pour la région et adaptée à l’ensemble des réseaux. Nous n’aurions plus une capitale, hyper-centre historique, s’exprimant et prenant des décisions affectant une région entière et ses douze millions d’habitants. En effet, ces millions de Franciliens, mis à part les Parisiens, doivent subir ces diktats sans pour autant avoir un quelconque droit de vote au sujet de la Ville de Paris.

Ainsi, quand Anne Hidalgo parle de “confinement plus sévère”, à qui s’adresse-t-elle :  aux habitants de la Ville de Paris qui vivent avec une densité supérieure à 25.000 hab/km2 (si l’on retire les bois de Boulogne et de Vincennes, devenus interdits)? A l’ensemble des Franciliens (mais son mandat concerne l’hyper-centre de l’Ile-de-France, pas la Région entière)? A l’ensemble des Français depuis leur capitale?

La tour Montparnasse et ses alentours, dans le 15e arrondissement parisien (densité >28.000 hab/km²). Cette urbanisation est fortement densifiée, tant pour les logements que pour les bureaux. Elle s’est faite au prix de la destruction de l’ancien quartier breton. Photo : BdF, le 6 octobre 2016, depuis la Tour Eiffel.

A titre de rappel, la densité du territoire francilien est de 1017 habitants par km² et à l’échelle nationale, elle descend à 119 hab/km²[5]En 2019, la population française était de 67 millions de personnes. La superficie cadastrale de la France, DOM inclus (INSEE) est de 633 109 km. Face à ces disparités, dans l’exemple du Corona, le choix d’une politique de confinement doit être plus adaptée à l’échelle locale. Du point de vue de Contrib’City, le critère majeur doit être la distanciation physique entre les êtres humains. Mais cette distanciation devra utiliser des méthodes différentes selon que les personnes habitent une tour d’habitations comprenant plus de dix étages, comme dans le 13e arrondissement par exemple, ou dans une zone péri-urbaine boisée, comme Jouy-en-Josas, avec davantage de maisons individuelles. Dans le premier cas, pour remonter à son appartement, on devra prendre l’ascenseur avec la probabilité d’être en contact avec un voisin. Dans le deuxième exemple, la distanciation pourra être facilement respectée du bout à l’autre du déplacement. Mais au-delà de la crise du virus couronné, c’est l’ensemble de la gestion territoriale de la Région Ile-de-France qui doit être revu en profondeur. 

Scène de rue tranquille dans le 13e arrondissement (densité >25.000 hab/km²). En arrière-plan, on distingue les Habitations Bon Marché, datant de la première moitié du XXe siècle. Ces ancêtres des HLM furent construites afin de répondre à une forte demande de logements dans la Ville de Paris. Plus tard, dans les années 1970, de véritables tours d’habitation furent érigées dans le même arrondissement. Cette densification urbaine comporte des avantages mais également des risques en cas de crise. Photo : BdF, le 5 avril 2009.

A notre sens, l’organisation du territoire national (départements d’outre-mer inclus) n’a pas vraiment changé depuis Louis XIV. En effet, la France vit toujours dans une dynamique très centralisatrice : 20% des Français vivent en Ile-de-France (1,9% du territoire national) et environ 20% du PIB de notre pays[6]Et même 31% du PIB français selon le Pr Philippe SUBRA, géopoliticien spécialiste de la banlieue : 25 questions décisives : le Grand Paris, Paris, Armand Colin, 2009, p 29 est contrôlé par cette région[7]Superficie cadastrale de l’Ile-de-France : 12 012,3 km². L’exécutif, le législatif ainsi que le principal moteur économique et financier de la France, le quartier de la Défense (le plus grand centre d’affaires européen), se trouvent tous les trois dans le centre de la région francilienne. Paris et sa première couronne concentrent donc un ensemble de pouvoirs qui avivent les tensions territoriales dans la quête de travail, de logements et de loisirs. La Région parisienne, de par cette hyper-centralisation, parvient certes à réaliser des économies d’échelles dans la création des réseaux urbains. Cependant, cette densification augmente d’une façon exponentielle les vulnérabilités de l’agglomération, que ces dernières soient d’ordre sanitaire (virus Corona), “naturel” (inondations) ou militaire.

Le quartier de la Défense. Ce quartier est le plus grand centre d’affaires européen, devant la City de Londres. Au premier plan, on distingue le Bois de Boulogne et une partie de la commune de Neuilly-sur-Seine. Avec ce quartier, qui réunit les sièges sociaux de plusieurs multinationales du CAC 40, la Région parisienne (c’est-à-dire la zone urbaine de l’Ile-de-France) est non seulement la capitale politique mais également économique de la France. La concentration de ces fonctions est le résultat de plusieurs siècles d’hyper-centralisation. Photo BdF prise le 6 octobre 2016, depuis la Tour Eiffel.

Alors que faire : freiner la densification dans les centre-villes? Mais cette dernière se fera de toute façon car les jeunes et les seniors ont tendance à privilégier la proximité des services d’éducation, de loisirs/culture et de santé. Ralentir l’émiettement territorial? Mais la poussée vers les banlieues continuera sa progression inexorable car les ménages avec enfants choisiront l’espace du logement au détriment de la proximité des services urbains. Comme Haussmann n’avait probablement que répondu à une forte attente de la population parisienne pour moderniser la capitale[8]Entretien avec le Pr émérite Michel Carmona, 2012, l’organisation politique et urbanistique de la Région parisienne doit être revue et adaptée au contexte (péri)urbain actuel. La crise du Corona pourrait être un bon déclencheur à cette réorganisation. Cette dernière, toutefois, ne pourra se faire dans des conditions sociales et environnementales plus acceptables pour les Franciliens que si elle s’accomplit dans un renversement de dynamique nationale, c’est-à-dire une vraie décentralisation.

Contrib’City reviendra sur cette question de la décentralisation lors de prochains articles.  

Quartier du Val d’Albian, à Jouy-en-Josas (densité >800 hab/km² en 2016 contre 540 hab/km² en 1968. cf : INSEE). Jouy-en-Josas fait partie de la Communauté d’Agglomération de Versailles Grand Parc. Ce quartier, situé à l’extérieur du centre-ville jovacien, est un bon exemple de densification péri-urbaine moins forte. Les vulnérabilités sont moins élevées que dans le centre-ville versaillais ou parisien. Les services urbains sont également plus loin. On remarque la présence d’espaces verts tout autour.

 

Nouveau lotissement à St Pierre du Perray (densité >900 hab/km² en 2016 contre 53 hab/km² en 1968. cf : INSEE), dans l’Essonne. Les familles peuvent à la fois profiter de maisons individuelles et d’espaces verts abondants, comme le Bois du Château ou les forêts de Sénart et de Rougeau, tout en bénéficiant du bassin d’emplois de la Région parisienne. Par contre, cette situation géographique impose de longs trajets pendulaires. Photo de droite : agrandissement du lotissement. En 2030 ou 2040, ce plateau situé au-dessus de la vallée de la Seine, en amont de Paris, sera nettement plus urbanisé et fera peut-être partie intégrante de la zone urbaine de l’Ile-de-France. Photos : BdF, le 11 septembre 2010.

 

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Références[+]

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