Monsieur de Foucauld, vous avez probablement raison, mais fermez votre bouche! Ainsi s’exprimait, par téléphone, vers 2004, le représentant d’un haut responsable public, au sujet de l’une de mes propositions pour améliorer l’organisation du logement en Seine-Saint-Denis.
Malgré cette menace, je continuais à mettre en œuvre cette proposition qui fut concrétisée, du moins dans certains quartiers séquano-dionysiens. Je constatais, dans les chantiers de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale, que la méthode que j’employais permettait d’avoir de meilleurs résultats urbanistiques (amélioration pérenne du logement), sociaux (insertion des familles en difficulté), administratifs (meilleure coordination entre les institutions publiques locales, les associations et les familles). Le tout, sans augmentation de coûts à court terme, voire une baisse de ces derniers à moyen terme : en effet, un ménage mieux inséré va générer, économiquement parlant, plus de revenus donc à la fois une diminution des aides sociales et une augmentation des revenus fiscaux. Je découvris cette méthode lors de deux voyages d’études à New York et dans l’Etat du New Jersey, séjours entrepris personnellement afin de préparer la soutenance de mon diplôme d’ingénierie sociale et de Développement local (DEFA, Ministère des Affaires Sociales et celui de Jeunesse et Sports).
A priori, cette façon de procéder, efficace et sans apport supplémentaire de fonds publics, avait plutôt du bon, n’est-ce pas? Oui, mais elle avait un très sérieux défaut : elle remettait en cause toute l’organisation politique à l’échelle départementale et régionale, voire à l’échelle nationale. Elle pouvait également révéler, peut-être, la crainte de certains élus plus ou moins perplexes face à l’explosion potentielle d’une poudrière socio-économique, explosion qui finalement eu lieu, dans toute la France, durant trois semaines, en 2007. Entre temps, je m’étais retrouvé devant un dilemme peu facile à gérer : trahir les familles et leur confiance ou bien perdre, à moyen terme, mon emploi dont l’esprit social était une valeur forte pour mon employeur associatif? Je choisis la deuxième option et fut, sous la pression politique, licencié en 2005.
Très intéressé par l’ensemble des faits qui avait accompagné la concrétisation de ma méthode d’urbanisme, et peu motivé par mettre sous le boisseau la réflexion issue du vécu de centaines de ménages modestes, franciliens, new-yorkais, et plus tard londoniens, je décidais de fermer, un temps, ma bouche mais d’ouvrir, par contre, ma plume. Je me lançais, en Sorbonne, dans un Master puis une thèse qui fut validée par un jury international, composé entre autres du directeur de l’urbanisme de la prestigieuse Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, et par plusieurs conférences en Australie et en Europe. Une des leçons que j’ai retenue de mon directeur de recherche, le Pr émérite Michel Carmona (qui avait réussi l’exploit de me modeler au cadre universitaire très académique auquel je n’étais pas préparé) : toujours regarder derrière le rideau ou les décors de la scène. Ne jamais se contenter du superficiel même si cela demande des efforts : cela permet de mieux comprendre le présent et de se préparer à l’Avenir, quitte à assumer les risques liés à toute décision ou prise de parole ou écriture d’un texte.
C’est ainsi que depuis plus de deux ans, Contrib’City publie des articles au sujet de problématiques territoriales, à l’échelle souvent locale, mais aussi, quelque fois, à l’échelle internationale. Le site a progressé et atteint un niveau critique qui demande aujourd’hui un système d’abonnement afin de pérenniser son développement d’une façon indépendante : ni sous la botte d’un pouvoir politique ni sous celle d’un magnat de la Presse (les deux entités, d’ailleurs, pouvant être liés plus ou moins officiellement). L’esprit du site insuffle toujours les mêmes motivations : regarder les faits tels qu’ils sont, analyser en profondeur ces derniers puis, quand cela est nécessaire, évoquer les risques de telle ou telle situation (catastrophes “naturelles”, déficit public, hyper-centralisation, abstention record aux élections locales…). CC, par exemple, dans son article du 15 octobre 2020, avait fait part des menaces publiques, orales puis écrites, reçues de la part d’un personnage politique local. Malgré cela, CC continue son travail d’information. Le site évoque aussi la beauté et la poésie des paysages qui nous entourent. Il rappelle que pour chaque famille, son lieu de vie, son quartier ou son village, même confronté à de grandes difficultés sociales et à l’architecture anonyme des barres HLM des années 1950 et 1960, demeurera toujours une province et beaucoup davantage (cf : Joachim du Bellay, Heureux qui comme Ulysse, 1558).
Bertrand de Foucauld
