Manif’ à Jouy-en-Josas : tension entre cadre de vie et centralisation

Le droit de manifester peut également s’appliquer à l’échelle locale. La preuve : dans la petite commune de Jouy-en-Josas, 8400 habitants (dont 2000 étudiants à HEC), un groupe de plusieurs associations de protection de la Vallée de la Bièvre s’est réuni samedi 12 juin, dans une ambiance bon enfant et festive, pour  manifester leur désapprobation vis-à-vis du futur chantier du promoteur Franco-Suisse. Cette manifestation est probablement une première, hormis les évènements sur le campus HEC.

Les constructions du projet Villa Galia devraient commencer d’ici quelques semaines, du moins théoriquement. Sur le terrain, les associations Jouy-en-Coeur, Les Amis de la vallée de la Bièvre (AVB), Un avenir pour Jouy (UAPJ), le Collectif Agissons pour Jouy-en-Josas et Patrimoine Environnement ont envoyé cinq recours contre le promoteur Franco-Suisse.

Pour résumer, le problème porte sur trois piliers : le premier est scientifique, le second politique et le troisième logistique.

Marche des manifestants dans la rue Oberkampf, entre le chantier/ligne de chemin de fer, et la place de l’église. Photo : BdF, le 12 juin 2021.

Les risques : inondation par ruissellement et pollution

La première base des plaintes s’oriente vers les risques d’inondation. Alain Vicaud, ingénieur à la retraite spécialisé sur les question d’inondation pour les centrales électriques, prévient que l’aléa ruissellement n’a pas été pris en compte dans le permis de construire. Il informe également les manifestants que la nappe phréatique, une vaste éponge de 4,50 m d’épaisseur, garde l’eau, en cas de pluie, au ras du sol sur la partie ouest du terrain à construire, et à 50 cm de la surface à l’est du terrain. Or, pour construire des parkings souterrains, il faut creuser[1]comme disait le M. de Lapalisse! Et faire un trou dans un sol rempli d’eau est une gageure!

Plus concrètement, on sait bâtir sur des terrains inondables mais le prix de la construction est plus élevé. Construire des immeubles de quatre niveaux, sur ce type de sol, pourrait également provoquer un affaissement de la voie ferrée, située juste à côté, par un phénomène de compensation (Ce même phénomène est observable à l’échelle d’un continent : l’isostasie[2]Il s’agit d’un phénomène selon lequel les différents compartiments de l’écorce terrestre se maintiennent en équilibre relatif grâce à la viscosité du milieu (manteau) sur lequel ils reposent (cf : P. GEORGE, F. VERGER, Dictionnaire de la Géographie, Paris, PUF, 2004). Par exemple, lorsqu’un glacier se forme sur une montagne, la masse rajoutée va provoquer, par compensation une élévation du territoire situé à côté. C’est un système de balance.. Pour compenser cette force tout en protégeant la ligne du RER C, il faudrait enterrer un mur de plusieurs mètres de profondeur et qui longerait tout le domaine, ce qui ne serait pas sans coûts supplémentaires.

A cela, on peut également mentionner le problème de la pollution du sous-sol : antimoine, amiante, hydro-carbures et souffre. Ce terrain a servi de plateforme logistique locale pour l’ancien service de messagerie de la SNCF (le SERNAM) et de site industriel pour une usine chimique. Qui doit prendre en charge, tant sur le plan technique que financier, la dépollution de ce site?

Au début du XXe siècle, le moulin cesse sa fonction nourricière puis est intégré dans une usine chimique qui s’étendra entre les voies de chemin de fer et le bief de la Bièvre. La société Agostini puis les Etablissements Louis Descamps exploitèrent ce site industriel jusqu’en 1968. Source : Groupe de recherches historiques de Jouy-en-Josas.

Question politique : quelle fonction pour ce centre-ville?

Le second point est politique : que faire du centre-ville de Jouy-en-Josas? Le transformer à nouveau en zone urbaine, avec sept immeubles, dont plusieurs ont 3 étages[3]Rez-de-chaussée + 3 étages = 4 niveaux, dans cette petite ville plus habituée à des bâtiments modestes et, surtout, à des zones vertes qui, quant à elles, sont vastes! Plusieurs Jovaciennes ont exprimé leur souhait de continuer à vivre dans une ville-parc.

La mairie argumente son choix sur le fait que ce terrain a été vendu 5,8 millions d’euros par et qu’arrêter ce projet urbain coûterait très cher. Les associations rétorquent que le quartier d’affaires dit du Petit Robinson, dans lequel ont déjà commencé des opérations de réhabilitations et de conversion (il s’agit de travaux afin que les immeubles n’aient plus une fonction de bureaux mais de logement), pourrait parfaitement faire l’affaire [4]Ce qui est le cas de le dire tout en évitant les risques d’inondation. D’aucun pourrait argumenter également sur les quotas de logements sociaux : 25% minimum. Mais là également, la commune de Jouy-en-Josas a dépassé ce seuil grâce aux logements étudiants de l’école de commerce HEC.

La dimension logistique

Enfin, le troisième pilier porte sur la logistique : quid de l’organisation des secours en cas d’incendie? En effet, la caserne des pompiers se situe à l’entrée de Vélizy, au nord de Jouy. Les sapeurs devraient descendre la route dite “Côte de l’homme mort” qui débouche sur un passage à niveau. Aujourd’hui, sans compter les nouveaux logements, cette voie est saturée par les embouteillages matin et soir. De plus, en cas d’inondation, il faut prévoir la possibilité que le préfet ordonne l’évacuation des immeubles, ce qui serait dommageable à la fois pour la valeur marchande de ces logements et pour leur possibilité d’être normalement assurés.

Présence de la Police, de l’autre côté de la voie ferrée, pour assurer la sécurité de la manifestation. Problème logistique : en cas d’incendie ou d’inondation, le passage à niveau, couplé à l’étroitesse des rues, risque de poser de sérieuses difficultés pour l’arrivée des secours comme pour l’évacuation des habitants.

Solution : partager les approches territoriales et décentraliser

Contrib’City a contacté plusieurs commerciaux et autre employés de Franco-Suisse, tant à Jouy-en-Josas qu’au siège social à Anthony : l’accueil fut cordial mais aucun n’a pu renseigner sur la manière dont leur employeur avait prévu de pallier les risques de ruissellement. Par ruissellement, on signifie pas là l’écoulement des eaux sur les coteaux nord et sud de la vallée qui encadrent la Bièvre. Un courriel, adressé mercredi dernier au PDG Damien Rolloy, est resté sans réponse. Une occasion de rencontre manquée où le promoteur aurait pu donner son point de vue face à la demande croissante de logements en Ile-de-France mais aussi face au risque d’inondation, dans un contexte de réchauffement climatique[5]A titre d’exemple, le mois de juin actuel est très chaud (33°C prévu à Paris pour le 16 juin) et celui de l’année dernière a battu tous les records de chaleur, en France, depuis que l’on fait des mesures météo dans ce pays (source : France Info, 14 juin 2021)..

Cet exemple local de confrontation quant à l’utilisation d’un territoire soumis à de très fortes tensions opposées pose, une fois de plus, la question de la centralisation à la française. A titre de rappel, la Région parisienne – un peu plus de 4000 km2 (>1/4 de l’Ile-de-France) – contrôle aujourd’hui un tiers du PIB français[6]Produit intérieur brut, c’est-à-dire l’ensemble des richesses produites sur le territoire français, TOM compris, contre un quart dix ans auparavant, et héberge un Français sur cinq! La résultante donne une pression sur le foncier qui attire de nombreux agents publics comme privés. Un chiffre? Lorsqu’un mètre carré de terre arable (la terre francilienne est réputée pour ses qualités agronomiques) devient construit, sa valeur marchande peut être multipliée par 200! De quoi attirer l’attention, effectivement.

 

Jean-Louis du Fou, président de l’association Les amis de la vallée de la Bièvre, introduit la manifestation en expliquant qu’il n’est pas trop tard pour se battre contre le chantier et que cinq recours sont engagés. Vidéo : BdF, le 12 juin 2021, parking Oberkamp, Jouy-en-Josas.

Jean-Louis du Fou, président des Amis de la vallée de la Bièvre, pose la question de la gestion logistique en cas d’incendie dans les futurs logements? En effet, le chantier se situe de l’autre côté de la voie ferrée (par rapport à la route qui mène à la caserne des pompiers). Les obstacles sont donc variés : passages à niveau, embouteillage et routes étroites. En cas d’inondation, l’évacuation sera encore plus difficile. Vidéo : BdF, le 12 juin 2021, parking Oberkamp, Jouy-en-Josas.

JL du Fou explique le problème vis-à-vis des bassins de rétention. Ces derniers sont efficaces uniquement pour les crues moyennes. Pas pour celles qui sont exceptionnelles, comme les centennales. Mais, avec le réchauffement climatique, on peut s’attendre à épisodes orageux de plus en plus fréquents et puissants. Vidéo : BdF, le 12 juin 2021, parking Oberkamp, Jouy-en-Josas.

Deux Jovaciennes témoignent de leur attachement pour le cadre de vie actuel de Jouy-en-Josas. Vidéo : BdF, le 12 juin 2021, parking Oberkamp, Jouy-en-Josas.

Deux Jovaciennes expriment leur sensibilité par rapport à la dimension paysagère. La densification, selon elles, pousse les familles à partir un peu plus loin encore de Paris. La mairie avance le besoin de remplir les crèches et les classes. Cependant, une crèche supplémentaire est déjà en projet, ce qui démontre une demande. De plus, est-ce que les écoles primaires de Jouy-en-Josas ne seraient pas confrontées à l’attractivité des collèges à Versailles et à Buc (Lycée franco-allemand)?  Vidéo : BdF, le 12 juin 2021, parking Oberkamp, Jouy-en-Josas.

Une Bièvroise montre sa détermination à protéger la vallée de la Bièvre. Vidéo : BdF, le 12 juin 2021, parking Oberkamp, Jouy-en-Josas.

(Photo de couverture : photo de la manifestation juste à côté du chantier Franco-Suisse. Photo BdF : Parking Oberkamp, le 12 juin 2021).

Références[+]

11 réflexions sur “Manif’ à Jouy-en-Josas : tension entre cadre de vie et centralisation

  • 17 juin 2021 à 14 h 39 min
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    Article bien construit, mais il y manque un autre point crucial, celui des places de parking, 129 logements représentent à minima 200 voitures et ce sans compter les éventuels visiteurs… Donc comment accepter un PC avec seulement 128 places de parking?
    C’est cela le stationnement en EPY?🤔😉

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    • 19 juin 2021 à 19 h 08 min
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      Oui, l’éternelle question du stationnement urbain : vous avez parfaitement raison! Dans les immeubles classés comme écologiques, type “Bedzed” dans le quartier de Bedington dans le “borrough” de Sutton, à Londres, le nombre de stationnements est inférieur à celui des appartements : cela suppose que les habitants jouent le jeu et l’objectif visé est de se passer de voitures individuelles. A Jouy-en-Josas, je m’attends plus – mais c’est une hypothèse – à ce que le nombre de voitures soit supérieur ou égal au nombre de logements et donc que certaines soient parquées dans la rue, voire sur les trottoirs, quitte à entraver la sécurité des piétons. Soyons attentifs! Ce problème de stationnement n’est pas un EPYphénomène!

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  • 16 juin 2021 à 22 h 52 min
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    Article magnifiquement construit. Quand la politique locale ne respecte l’adhésion de sa population voilà ce qui se passe.

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    • 19 juin 2021 à 19 h 10 min
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      Merci, Annie!

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  • 16 juin 2021 à 22 h 18 min
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    Article remarquable et très bien documenté
    Félicitations!

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  • 16 juin 2021 à 22 h 15 min
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    Article remarquable et très bien documenté: hors de question d’implanter 7 immeubles dans le centre de Jouy. Il faut préserver la belle vallée de la Bièvre….

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  • 16 juin 2021 à 10 h 15 min
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    Excellent article. On ne nous a pas tout dit et merci pour ces précisions qui ne font que confirmer tout la sottise humaine .

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    • 16 juin 2021 à 10 h 50 min
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      Bonjour Monsieur et merci pour votre commentaire. Contrib’City essaye d’apporter les tenants et aboutissants d’une situation donnée. Mais la solution proposée – une vraie décentralisation – suppose une réorganisation du Pouvoir, notamment exécutif, à l’échelle nationale et régionale : piste efficace mais sensible car elle touche un domaine auquel chaque acteur concerné tient farouchement. Espérons que la France puisse véritablement se décentraliser – il suffit de séparer les capitales politique et économique en déplaçant le gouvernement, et peut-être le Parlement – à Lyon ou dans une autre grande métropole provinciale. A défaut, c’est l’Union Européenne, à travers l’influence politique grandissante de Bruxelles, qui effectuera cette décentralisation. Mais, dans ce cas, ce mouvement ne sera ni conçu ni organisé par les Français.

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    • 16 juin 2021 à 15 h 34 min
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      Merci pour cet article factuel
      Merci d’avoir soutenu la mobilisation et d’avoir dit la vérité aux Jovaciens

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      • 16 juin 2021 à 16 h 16 min
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        Bonjour à toutes et tous
        Étant Jovaciens d’adoption, je me suis permis de rejoindre vôtre cause, concernant le projet de construction des immeubles, sur la friche SNCF. Je trouve ce projet scandaleux de surcroît sur une zone inondable. Il faudrait que les signataires de la pétition se mobilise un peut plus. Super article félicitations à vous

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    • 16 juin 2021 à 16 h 08 min
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      Stoppons la construction des 7 immeubles .
      Conservons la vallée de la bievre
      Vous avez notre soutien

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