Qui est prêt à mourir pour l’Ukraine ? 2/2
Un dictateur est toujours seul puisqu’il n’a aucun contre-pouvoir ou même interlocuteur pour le contredire. Une fois qu’un autocrate s’est lancé dans une folie destructrice, il est difficile de prévoir ce qui va l’arrêter. C’est ainsi que dans son article précédent, Contrib’City avait «pensé» à une invasion de l’est de l’Ukraine, mais pas du territoire entier de ce pays (du moins pas tout de suite). CC avait donc prévu la guerre mais à une moindre échelle.
Au sein des forces d’opposition au chef russe, CC a peut-être également sous-estimé la capacité des médias : à part la Russie qui diffuse des photos de Kiev non bombardée, il semble que l’homme fort du Kremlin a perdu la bataille de l’image. Dans de nombreuses mégalopoles, des manifestations pacifiques en soutien de l’Ukraine se sont organisées.
Si les occidentaux ne sont pas prêts à mourir pour ce pays, il semblerait que les Ukrainiens eux-mêmes soient prêts à le faire : la résistance, appuyée par de l’armement anti-char venu de l’Allemagne (une Première!), a ralenti l’invasion de l’armée russe. Or, le temps joue contre les envahisseurs. Chaque jour, les médias couvrent la bataille de Kiev et sensibilisent, avec des images de bombardement, de tirs, d’exode et d’enfants victimes, l’horreur de la guerre. Ces photos réveillent des souvenirs que les Européens et les Américains croyaient appartenir au passé et soulignent la gravité de ce que le dictateur russe vient de déclencher.
Mais l’invasion est en train d’arriver vers un point critique. Quelle que soit l’issue de la bataille ukrainienne – l’installation définitive de l’armée russe qui sera ensuite remplacée par un gouvernement fantoche aux ordre de Moscou ou bien l’enlisement de la guerre au détriment des Russes – l’homme fort du Kremlin sera acculé devant une décision difficile. Soit il perdra la face, devant le monde entier, soit il s’enfermera lui-même dans une spirale de mort. Or, s’il a menacé les Occidentaux de l’arme nucléaire, il a oublié de préciser un point : ce n’est pas sa nation qui a inventé cette arme de destruction massive (ADM). Autrement dit, il n’est pas le seul à posséder la bombe atomique.
De l’autre côté, les Européens et les Américains s’étaient engagés à protéger l’Ukraine en contre-partie du démantèlement de son arsenal nucléaire. Si l’invasion de ce pays allait jusqu’au bout, cela serait un très mauvais signe pour une désescalade de l’armement dans le monde : cela confirmerait, une fois de plus, que les ADM sont « indispensables » pour garantir la sécurité militaire d’une nation.
Enfin, si les mesures de rétorsion économique contre la Russie, et notamment contre l’homme fort du Kremlin et son entourage, pourront être (partiellement) contournées par ces derniers, elles joueront quand même un rôle de « poil à gratter » contre cette nomenklatura milliardaire. En effet, si ses jets privés ou résidences londoniennes ou différents comptes bancaires sont bloqués, cela va gêner cette “jet-set” non seulement dans ses loisirs mais aussi dans la préservation de son patrimoine. Tout argent qui est bloqué en Russie, pour un oligarque, est susceptible de faire l’objet d’une enquête judiciaire le jour où le gouvernement russe change. On pourrait se poser la question, par exemple, comment on passe du statut de haut-fonctionnaire, notamment en charge des entreprises d’État, à celui de milliardaire. De plus, si l’Empire de toutes les Russies devenait un jour une démocratie (je veux parler d’un pays où tout opposant politique ne risque pas de se retrouver en prison ou simplement assassiné), l’homme fort du Kremlin risquerait alors de se retrouver face à une plainte pour avoir enclencher une guerre alors que son pays n’était pas attaqué.
Nous terminerons par une hypothèse et une constatation. L’homme fort du Kremlin accuse l’OTAN de manigancer pour étendre son influence jusqu’aux frontières de la Russie. On peut voir l’évolution post-Guerre Froide de l’Europe d’une autre manière : les gens sembleraient préférer la liberté aux régimes autoritaires. A la chute du Mur de Berlin, les peuples de la plupart des républiques soviétiques se sont libérés du joug soviétique pour choisir un régime démocratique. Si la Russie veut attirer à nouveau ces pays, qu’elle opte pour ce que souhaitent les hommes : la liberté ! Si l’empire euro-asiatique veut constituer un groupe d’influence, ce n’est pas très compliqué : un régime démocratique couplé à l’immense richesse du plus grand pays du monde[1]La Russie a une superficie de plus de 17 millions de km². A comparer avec les 4 millions de km² de l’Union Européenne, ou encore le million de km² pour la France, départements-régions d’outre-mer et Terre Adélie inclus, ou encore le 0,6 million de km² de l’Ukraine. attirera bien des gens !
La démocratie, malgré tous ses défauts, reste le moins mauvais de tous les autres régimes, pour paraphraser Churchill. Doit-on, d’ailleurs, parler des défauts de la démocratie ou bien des lacunes de ses dirigeants ? Or, dans ce type d’organisation, c’est le peuple qui dirige : le fameux démo[2]En grec classique : démo, le peuple et cratie, le pouvoir.! Tout problème dans une démocratie renvoie à notre responsabilité collective et individuelle. La responsabilité est l’envers de la liberté. Espérons que tous les anciens membres du bloc soviétique puissent accéder, le plus rapidement possible, à la démocratie. Puissions-nous, vieilles démocraties, aider avec courage les Ukrainiens et tous leurs voisins du nord et de l’est, à (re)conquérir leur liberté.
Liberté
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Liberté (extraits) in Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin)
Paul Eluard
(Photo de couverture : Pixabay 20. Avec les remerciements de Contrib’City.)
Références
Cher Bertrand,
Merci pour partager ces belles observations avec nous qui en cherchons toujours. De façon inévitable vous nous rappelez ces vers consolateurs de Paul Eluard.
Sur une échelle comparative, je trouve les visages ukrainiens plus beaux (car plus vivants) que ceux des agresseurs.