Le spectre de Munich

Depuis le 24 février, la guerre fait rage en Ukraine où une petite armée se bat avec un courage et une abnégation inouïs, supportant d’incessants bombardements sur des cibles souvent civiles.

Le cadre de ce massacre, où des hôpitaux, une maternité et des quartiers résidentiels entiers ont été détruits, est celui du Mémorandum de Budapest, signé le 5 décembre 1994 par l’Ukraine, la Fédération de Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni. La France et la Chine s’y joindront ensuite (Mathieu Lasserre, La Croix). Kiev, dans le cadre de cet accord, avait accepté de transférer 4000 ogives nucléaires à la Russie. En contrepartie, les signataires s’engageaient à respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine et son indépendance politique, c’est-à-dire, à ne pas l’envahir et à ne pas entraver ses décisions démocratiques.

Depuis bientôt un mois, le dictateur russe a ostensiblement violé ces accords et s’est engagé dans un processus de crimes contre l’humanité. Pendant le temps nécessaire à la rédaction de cet article, des hommes, des femmes et des enfants ont malheureusement été bombardés, déchiquetés. Des cadavres demeurent sur le sol, participant à propager l’horreur et éventuellement le choléra.

La “condamnation” à treize ans de prison supplémentaires contre Alexei Navalny, le principal opposant politique de l’homme fort du Kremlin, en dit long sur la conception de la justice et de la séparation des pouvoirs, au sein du régime russe. L’immense majorité (plus de 90%?) des réquisitions des procureurs sont suivies par les juges en Russie. En effet, il n’est pas très bon pour la carrière d’un magistrat de s’opposer à la volonté du Kremlin, surtout s’il s’agit d’un opposant politique.

Le dictateur russe, que ce soit en matière de droit international ou de droits de l’homme, ne respecte rien. Et nous le regardons faire, avec, il faut le souligner, la générosité de la société civile qui organise des aides humanitaires. Mais ces derniers, quand ils ne sont pas pillés par l’armée russe, ne suffisent pas à gagner cette guerre.

En ce qui concerne les sanctions économiques, l’autocrate russe n’est, à titre personnel, que peu impacté : son pouvoir et la richesse qu’il a détournée grâce au vaste système de corruption dans son pays, le protègent matériellement parlant. Quant à ses menaces de réponses effroyables en cas d’intervention militaire de la part des occidentaux, il suffit de faire le bilan de ces quatre dernières semaines pour se rendre compte de la situation. Pendant que nous tergiversons, l’armée russe, même si son matériel est assez ancien, pilonne à coup d’obus et de missiles, jour et nuit, plusieurs grandes villes ukrainiennes qui sont progressivement rayées de la carte, avec leurs habitants sous les décombres, sauf pour ceux qui ont fui.

Un point a retenu mon attention : la peur des Américains ou des Européens de participer à défendre le ciel ukrainien contre les attaques aériennes russes. Mais, techniquement parlant, quand le President Volodymyr Zelensky supplie les occidentaux de venir à son aide et plus particulièrement en sillonnant son espace aérien afin de prévenir toute attaque par les chasseurs-bombardiers russes, n’est-ce pas simplement participer à la défense de son pays, suite à son invitation? Comme ces actions resteraient à l’intérieur des frontières ukrainiennes, cela ne concernerait pas la Russie. A moins que cette dernière ne continue à envahir l’Ukraine et donc de violer un des droits aujourd’hui quasiment universellement reconnu qui est celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cela signifie la liberté de s’allier avec le(s) pay(s) ou l’organisation de son choix, que ce soit l’OTAN et/ou l’Union européenne.

Ce conflit met le doigt sur nos faiblesses et nos lâchetés. Sur le plan économique, même le moteur de l’UE, la verte Allemagne, montre combien elle est dépendante d’une forme d’énergie (gaz) provenant d’un pays (Russie). Sur le plan militaire, l’UE a décidé de créer une armée : 5000 hommes (disponibles quand?) face à 900.000 environ (armée russe). Quant à la France, son organisation militaire souffre d’un manque structurel en terme de budget et de matériel, comme l’avait montré l’ancien général Pierre de Villiers. Par exemple, la plupart de ses opérations en Afrique ne seraient pas possibles sans la logistique de l’armée US, notamment en terme d’hélicoptères. (Notons, toutefois, que le budget militaire français, sur la période 2019-2025, a été augmenté entre 1,7 et 3 milliards d’euros par an).  Notre pays a pourtant un atout qu’elle pourrait utiliser pour défendre l’Ukraine : le Rafale. Considéré comme un des meilleurs chasseurs du monde, cet engin pourrait être très efficace dans un rôle défensif contre toute violation du ciel ukrainien. Mais nous préférons ne pas bouger : organiser un sommet à Versailles où l’Allemagne déclare qu’elle ne réduira ses dépenses de gaz russe que d’ici quelques années[1]aujourd’hui, nos voisins dépensent un milliard d’euros par jour en gaz russe et envoyer un peu de matériel défensif portatif.

En fait, c’est le spectre de Munich qui nous immobilise. Nous espérons que le dictateur russe, un beau jour, changera d’avis et rappellera ses troupes. Même s’il faut toujours laisser une porte ouverte de son esprit aux miracles, nous devons agir. Le Président Volodymyr Zelensky nous aura prévenus : si l’Ukraine ne survit pas, l’Europe entière ne survivra pas non plus. Face à un homme qui ne comprend que le rapport de force, toute lâcheté de notre part se paiera le prix fort. Quand la France (Daladier) et le Royaume-Uni (Chamberlain) signèrent les accords de Munich en 1938 et trahirent les Sudètes (Tchécoslovaquie), ils pensaient avoir préservé la paix. Mais c’est Churchill qui eut le dernier mot : Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre.   

Maintenant que le Monde entier sait de quoi il en est de la politique du Kremlin, il serait peut-être temps que nous participions activement à la défense de l’Ukraine. Si nous le faisons pas, qu’est-ce qui empêchera le dictateur russe de franchir par la suite les frontières avec les pays baltes, la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie ou encore la Moldavie? Nos convois humanitaires? La confiscation d’une partie des yachts des oligarques russes? L’envoi de lances-roquettes-anti-char portatifs? Ou bien notre fermeté et notre détermination à aider et à protéger les Ukrainiens et leur pays, suite à leur demande et face aux massacres dont ils sont victimes chaque jour depuis quasiment un mois? 

Nous pouvons également nous poser la question autrement : au cas où un pays européen de l’Otan serait envahi, à quoi sommes-nous prêts? A organiser un concert (certes nécessaire) ou bien à beaucoup plus? N’oublions pas notre trahison de Munich et le courage de Churchill!

De gauche à droite : Neuville Chamberlain, Edouard Daladier, Hitler, Mussolini et le comte Ciano (ministre de la Presse et de la propagande italien) à la conférence de Munich qui eut lieu du 29 au 30 septembre 1938. Traumatisés par la Ière guerre mondiale, la France et le Royaume-Uni trahirent leur traité d’alliance avec la Tchécoslovaquie et signèrent les accords de Munich avec Hitler, espérant ainsi maintenir la paix. En octobre, l’armée nazie envahit la région des Sudètes. En mars 1939, violant ces mêmes accords de Munich, le Führer s’assure le contrôle de la Bohême-Moravie de la République tchèque. Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne, déclenchant ainsi l’entrée en guerre du Royaume-Uni et de la France deux jours plus tard. Le 22  juin 1940, les Français capitulent. Cf : https://www.herodote.net/30_septembre_1938-evenement-19380930.php

 

(Photo de couverture : le drapeau ukrainien. Source : Pixabay.)

 

Références[+]

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