Bordeaux : un mariage de prestiges et de risques

La ville évoque un cadre majestueux dans le plus grand estuaire d’Europe et une architecture, des technologies et une agriculture prestigieuses. Elle est également liée à toute une série d’inondations, certaines meurtrières, de déclins économiques, de spéculations immobilières, de gentrifications et enfin de certaines innovations de pointe controversées.

Alors comment se repérer parmi toutes ces contradictions? Peut-on s’établir dans cette agglomération et construire sur la durée? Est-il sage d’y investir des capitaux mobiliers ou immobiliers?

Après une présentation des différents actifs prestigieux de la métropole bordelaise et de l’estuaire de la Gironde, nous regarderons les risques intrinsèques, d’une part, au cadre géographique et urbanistique de l’agglomération et, d’autre part, au mode de développement socio-économique de la ville.

(Photo de couverture : le paquebot de luxe Seven Seas Explorer, de plus 55.000 tonneaux, mesurant 224 mètres de longueur et pesant plus de 6000 tonnes[1]CRUISEMAPPER, Seven Seas Review and Specifications, [consulté le 11/11/2019]. Disponible sur :https://http://www.cruisemapper.com/ships/Seven-Seas-Explorer-1038, à quai à Bordeaux. Ses moteurs diesels tournent afin de fournir en électricité les systèmes du navire. Photo : BdF, 26 septembre 2019.)

Les atouts de Bordeaux

Premier ensemble architectural du XVIIIe siècle, avec son style classique en pierre calcaire qui longe les quais de la Garonne, la ville s’affiche d’emblée parmi les plus belles cités du monde. Cette beauté majestueuse, tout en s’opérant d’une façon harmonieuse dans ses dimensions, ses perspectives et ses couleurs, s’accompagne d’un produit du terroir connu et reproduit sur plusieurs continents – le vin – et plus précisément les Grands Crus Classés dont les bouteilles affichent des prix commençant à plusieurs centaines d’euros l’unité sans pour autant pouvoir fournir la demande.

Le développement des industries de la défense, de l’aéronautique et de la pharmacie participent au rayonnement scientifique et économique de Bordeaux. Être chercheur dans cette région peut se révéler comme une excellente position : secteurs porteurs dans une région très agréable à vivre, tant pour ses températures océaniques douces que pour la proximité du Bassin d’Arcachon et du bord de mer ainsi qu’un peu plus loin, au sud, les Pyrénées [2]Le col du Pourtalet, situé à côté du Pic du Midi d’Ossau (2884 m d’altitude) .

L’arrivée de la ligne à grande vitesse dans la capitale girondine, en parallèle avec l’ensemble des travaux de ravalement des façades entrepris depuis trente ans, couronne une ère de prospérité, de rajeunissement et d’entrée de la ville dans le XXIe siècle, dans une tendance connectée, chic-et-choc. En complément, et comme autre signe du développement de l’agglomération bordelaise, un projet de réseau express métropolitain (RER) est actuellement sur les rails[3]LHERM Denis, DEBRAY Catherine, “RER Métropolitain, c’est parti!”, in Sud-ouest Bordeaux Agglo, p12, jeudi 24 octobre 2019.. Ce réseau utilisera les voies existantes, avec les améliorations techniques nécessaires, et prolongera la desserte locale jusque dans un rayon de 50 km autour des gares Saint-Jean et Talance Médoquine ainsi que celle du Bouscat Sainte-Germaine qui devrait entrer en service en 2021.

Bordeaux entre ainsi dans une dynamique de mobilité et de haute valeur ajoutée, dans un cadre urbain stylé ou, pour utiliser un mot à la mode, la gentrification. Même si un effort de mixité existe, avec l’implantation de logements sociaux (mais de quelles catégories?) conformément à l’esprit de la loi ANRU, il reste que le prix moyen du foncier bordelais a augmenté de 38%, sur la période des quatre dernières années.

A gauche : le Grand Théâtre, construit en 1780 par l’architecte Victor Louis dans le style classique. La Place de la Comédie, récemment réaménagée avec l’arrivée du tramway, accueille une population urbaine, chic, connectée et mobile. A droite : Le Pont de pierre ordonné par Napoléon Ier et achevé en 1822, malgré les difficultés techniques dues à la largeur de la Garonne à cet endroit (près d’un demi-kilomètre) et aux marées.
Le centre-ville de Bordeaux offre deux types d’urbanisme : des terrains très dégagés, comme la Place des Quinquonces, et des dédales de ruelles, souvent piétonnes, comme ici la rue Camille Sauvageau, dans le quartier St Michel, autrefois populaire et aujourd’hui bourgeois-bohème. On note, pour les deux types d’urbanisme, la présence de verdure qui à la fois aère les lieux et montre l’opulence de ces derniers.
La plage d’Arcachon. Photo : BdF, le 23 octobre 2019.
Lumières d’une fin de journée automnale sur le bassin, depuis la jetée de Bélisaire. Photo : BdF, le 23 octobre 2019.
Le marché des Douves, dans le quartier Saint-Michel. Cet endroit repose sur une colonne vertébrale allant de la basilique du même nom, juste à côté de la Garonne, au Marché des Capucins. Au nord-est de cette place des Capucins, à l’angle des rues des Douves et Marbotin, se trouve une ancienne halle qui sert de lieu d’exposition aujourd’hui et qui héberge l’association “la Halle des Douves”. Cette association municipale, probablement en réaction à la gentrification du quartier, souhaite que le Marché des Douves soit créateur de liens et de paroles, mixte et interculturel,[4]LA HALLE DES DOUVES, Le projet associatif, [consulté le 10/11/2019]. Disponible sur : https://www.douves.org/la-halle-des-douves/avec également une dimension commerciale. Des expositions remémorent la vie locale quand le quartier était encore populaire, avant la grande vague de réhabilitation commencée depuis plus de trente ans, avec une accélération depuis les travaux de la ligne ferroviaire à grande vitesse. Photos : BdF, 27 septembre 2019.
Exposition sur l’ancien quartier St Michel. Au Marché des Douves, au mois de septembre dernier, une exposition offrait des témoignages des anciens habitants du lieu et montrait où se passaient les métiers d’autrefois. Photo : BdF, le 27/09/2019.
A gauche : chantier de réhabilitation profonde d’un immeuble en face de la gare St Jean, à Bordeaux. Le maître d’ouvrage n’a gardé que la façade, telle un décors, pour construire, en fait, un nouvel immeuble. Au milieu : ravalement de façade rue de Planterose, dans le quartier St Michel. A droite, immeuble ravalé, place Duburg. On remarque le contraste entre l’immeuble nettoyé et celui à sa droite. Deux remarques : 1. Les traces de pollution ont surtout marqué le rez-de-chaussée et l’entre-sol, preuve que les particules polluantes reste dans la partie surtout près du sol et donc des piétons. 2. Le contraste entre l’immeuble ayant bénéficié de travaux et l’autre va inciter la (co)propriété voisine à effectuer également un ravalement. Ainsi, un cercle vertueux d’entretien du quartier se créé. Photos : BdF, le 27 septembre 2019.
A gauche : esplanade de la gare St Jean, à Bordeaux. Cet espace multimodal, situé en centre-ville, permet de gérer des flux locaux (vélo, tramway et bus), régionaux (trains classiques dont la navette pour le Bassin d’Arcachon) et (inter)nationaux (TGV et bus pour l’aéroport de Mérignac). Photo de droite : on remarque l’harmonie entre les lignes et les couleurs du TGV avec les perspectives et les lumières naturelles de l’ouvrage industriel en verre et fer. La ligne à grande vitesse fut mise en service le 2 juillet 2017. Photos : BdF, 27 septembre 2019.
Pont Jacques Chaban-Delmas, en aval du pont d’Aquitaine. Cet ouvrage, conçu par les architectes Lavigne (père & fils) et l’ingénieur Michel Virlogeux (X, Ponts), fut mis en service en mars 2013. Il peut lever sa passerelle à 55 mètres de hauteur et permet ainsi le passage de gros bâtiments maritimes. Même si Virlogeux s’en défend [5]Ce que je voulais [c’est] que les tours apparaissent comme secondaires. Cf : « Un pont se lève », Sud Ouest, Bordeaux, 16 mars 2013, numéro hors-série, ces tours semblent les pièces maîtresses de ce pont : non seulement elles permettent de soulever la partie centrale de l’ouvrage, mais elles montent la garde sur le fleuve, telles des vestales, et veillent sur les circulations tant terrestres que navales[6]Qu’un ouvrage puisse intégrer à ce point la poésie, le regard et l’attention au paysage est en soi une prouesse, FELTESSE Vincent, in Le pont levant urbain Jacques Chaban-Delmas, EGIS, octobre 2013, p1, [consulté le 10/11/2019]. Disponible sur : https://www.egis.fr/sites/default/files/focus_dd_egis_-_pont_jcd_-_nov2013.pdf . Photos : BdF, le 26 septembre 2019.

Les risques d’inondation

Une fois que nous avons bien admiré ces façades du XVIIIe et ces récentes prouesses technologiques, entrons un peu plus dans les réalités quotidiennes de la ville, non seulement celles vécues aujourd’hui mais également celles appartenant au passé. En effet, ce passé continue à influencer en profondeur le paysage et à poser des défis (péri)urbains aux habitants de la métropole bordelaise.

Bordeaux subit régulièrement les assauts de la Garonne : entre les 5 et 7 avril 1770, le fleuve est monté à 8,52 m; en juin 1855, la hauteur d’eau a atteint 10,32 m. En 1879, les inondations du bassin versant de la Garonne ont provoqué plus de 500 décès. A Bordeaux, la crue fut aggravée par les fortes marées [et submergea] les quais des deux rives[7]SALOMON Jean-Noël, “L’inondation dans la basse vallée de la Garonne et l’estuaire de la Gironde lors de la “tempête du siècle” (27-28 décembre 1999)” in Géomorphologie : relief, processus, environnement n°2, 2002, Université Michel de Montaigne-Bordeaux-3, p 128.

Durant le mois de février 1979, la capitale girondine est inondée. L’eau monte à 9,60 m.

En 1981, les mêmes conditions que celles de 1879 se reproduisent : de fortes précipitations cumulées à une marée de fort coefficient inonde à nouveau Bordeaux. Entre le 13 et le 15 décembre 1981, la crue monte jusqu’à 9,50 m dans la commune de Marmande pourtant située à environ 100 km en amont du fleuve, donc à un endroit où le débit est plus faible que dans la capitale girondine.

Le 18 mars 1988, le même phénomène de marée-tempête[8]idem se reproduit.

Les 27 et 28 décembre 1999, un type d’évènement identique arrive à nouveau : une violente tempête cumulée à de forts coefficients de marée entraîne une forte crue : 7,05 m de hauteur d’eau à Saint-Louis-de-Montferrand, ville située à quelques km en aval de Bordeaux, alors que le niveau prévu était de 4,60 m.

Ainsi, même si les élus locaux qualifient souvent les crues de phénomènes “imprévisibles”, les statistiques et les rapport historiques montrent que Bordeaux d’une part, mais également le bassin de la Gironde, sont situés dans des territoires dotés d’enjeux importants et vulnérables face aux inondations du fait même de leurs caractéristiques géographiques et urbanistiques.

Les centrales nucléaires ont besoin d’eau pour à la fois faire tourner leurs turbines électro-magnétiques et refroidir ces dernières. Elles doivent donc se situer soit près de la mer soit près d’un fleuve, à l’instar de la centrale de Braud-et-Saint-Louis, dans le Blayais. Cette dernière fut inondée lors de la tempête de 1999 et son système de sécurité fut partiellement endommagé, malgré la présence de digues dont la hauteur avait été calculée selon le niveau de la marée mais sans prendre en compte le cumul de plusieurs mouvements météorologiques : forts coefficients du flot (supérieur à 110 sur une échelle de 120), fortes précipitations, dépression atmosphérique, tempête et houle. Si l’on prend en compte l’ensemble des paramètres, et notamment la morphologie en entonnoir de l’estuaire de la Gironde qui augmente les vagues, on est loin du compte […] même avec des digues de 8 m de hauteur, selon le géo-physicien Jean-Noël Salomon.

Rappelons également que l’incident de 1999, à la centrale de Blaye aura tout de même coûté, à l’époque, la bagatelle de 70 millions de francs. L’inondation aurait pu entraîner un problème nucléaire plus grave. Ainsi, ce type d’aléa peut également entraîner des risques technologiques.

A ces données géo-morphologiques et atmosphériques doivent être rajoutés deux faits susceptibles d’augmenter les probabilités d’inondation : l’artificialisation des sols et le réchauffement climatique. Le premier est à court terme, le second se présente dans une perspective à plus long échéance,  mais dont on peut déjà ressentir les effets. Dans mon article sur les inondations dans les régions parisienne et londonienne, et me basant sur les travaux de Lazaro[9]LAZARO T. R., Urban hydrology: a multidisciplinary perspective (revised edition), ed. Technomic Publishing Co, Inc, 1990, USA, p: 19, j’avais montré que lorsqu’un terrain est complètement artificialisé (parking bétonné par exemple) et donc que l’eau ne peut plus s’infiltrer dans le sol, non seulement le flux est augmenté par trois mais ce dernier arrive trois fois plus vite. Le bétonnage d’une prairie de plaine, surtout si elle est située dans le lit majeur d’un cours d’eau, risque de provoquer une inondation trois fois plus élevée et trois fois plus rapidement.

Schéma d’une inondation avant et après une artificialisation. Ce graphique montre le flux d’une crue, en pieds cubiques, et le temps nécessaire, en heures, pour atteindre le niveau le plus élevé de l’inondation avant et après qu’un même terrain ait été bétonné.[10]de FOUCAULD Bertrand, Extension urbaine et inondations (Paris & Londres), le 6 juillet 2019. [Consulté le 12/11/2019]. Disponible sur : https://contrib.city/index.php/2019/07/06/extension-urbaine-et-inondations-londres-et-paris/ et sur https://www.academia.edu/39763086/Extension_urbaine_et_le_facteur_de_risque_fluvial
La Gironde : le plus grand estuaire européen. Le cercle indique l’emplacement de la centrale nucléaire de Blaye, déjà inondée lors de la tempête de décembre 1999. La forme, en entonnoir, et l’orientation NO-SE favorise l’effet des vents océaniques, notamment lorsque ces derniers sont de caractère tempétueux. Si ces deux données (entonnoir et tempête)  devaient être augmentées par l’ensemble des effets météorologiques propices à une inondation, les rives de la Gironde et de la Garonne pourraient avoir à faire face à des niveaux d’eau jamais officiellement atteints jusque là. Même si des mesures de sécurité supplémentaires ont été prises depuis l’an 2000, le risque a largement été sous-évalué en cas de cumul des paramètres, d’après l’hydrologue Jean-Noël Salomon. Source : Géoportail.[11]www.geoportail.gouv.fr

Les risques de pollution

La pollution due aux transports (péri)urbains continue à être un problème pour Bordeaux. La ville a choisi de rendre piétonne nombre de ses rues en centre-ville. Cette option présente des intérêts écologiques d’autant plus qu’elle est accompagnée de la création de parking sur sa périphérie, près des terminus des lignes de Tramway : les habitants de la lointaine banlieue prennent leur voiture, dépose cette dernière loin du centre-ville puis prennent les transports en commun. Cette offre multimodale, que l’on retrouve dans d’autres agglomérations de province, comme Metz[12]de FOUCAULD Bertrand, Rurbanisation : l’exemple de Metz (1/2), [consulté le 10/11/2019]. Disponible sur : https://contrib.city/index.php/2019/09/06/rurbanite-lexemple-de-metz-1ere-partie/, présente l’avantage de diminuer la circulation automobile dans l’hyper-centre historique et donc de diminuer la pollution et les émissions de gaz à effet de serre (GES). A ces avantages viennent s’opposer plusieurs questions : quel a été l’impact écologique de la construction du tramway? combien ce dernier a-t-il coûté? Le Pr émérite Michel Carmona, nous rappelle qu’il faut émettre 1 tonne de CO2 pour produire 1 tonne d’acier et que la solution du tramway est onéreuse comparée à des bus classiques. Ces bus, dotés de batteries électriques, ou bien les trolleybus comme ceux de Lausanne, auraient pu effectuer le même service, pour beaucoup moins cher et en provoquant beaucoup moins de pollution et de GES. Mais il est vrai qu’une tendance au protectionnisme, ou colbertisme industriel, a influé sur le choix d’un tramway[13]CARMONA Michel et al., Tramway, le coût d’une mode, Orléans, Paradigme, 2001, p 10, 67 & 133.

Quel a été son impact du tramway quant au commerce de proximité? En effet, les clients ne peuvent plus faire des achats importants lorsqu’ils ne peuvent plus utiliser leur véhicule personnel, à moins de les faire transporter par camion ce qui présente un surcoût non-négligeable et une pollution.

La présence de navires de croisière géants, comme le Seven Seas Explorer, accosté face à la Bourse du Commerce le 26 septembre dernier, contribue à émettre, en terme de polluants et GES, l’équivalent de centaines de voitures. Une solution simple consisterait à brancher les systèmes internes du bâtiment sur le réseau électrique de la ville : cela non seulement supprimerait la pollution durant la mise à quai mais rapporterait des revenus supplémentaires à la ville du fait de la vente d’un forfait de fourniture d’électricité. A noter que j’ai défini ce paquebot de luxe comme “géant” en comparaison des autres embarcations navigant sur le fleuve.

Dans une réalité plus globale, le Seven Seas Explorer est considéré comme un navire maritime aux dimensions modestes (à titre de rappel : 54.000 tonneaux et 224 mètres de longueur) quand on le compare au mastodonte Mariner of the Seas, de 227.000 tonneaux et mesurant plus 362 mètres de long! Mais quelle que soit la taille, le problème de base réside dans le fait que ces villes flottantes, derrière la part de rêve, émettent lorsqu’elles sont à quai, une grande quantité de polluants et GES dans l’air urbain parce que leurs systèmes électriques ne sont pas raccordés aux réseaux portuaires.[14]ESCACH Mélanie, Les 21 plus grand bateaux de croisière au monde, le 21 février 2016. [Consulté le 11/11/2019]. Disponible sur https://generationvoyage.fr/plus-grands-bateaux-croisiere-monde/

Parking de la station Galin, à l’extrémité Est de la commune de Bordeaux, juste avant la ville de Cenon. Ce type d’aménagement présente l’avantage de garder les voitures, à la fois polluantes et consommatrices d’espace, à l’extérieur du centre de l’agglomération. Le processus est le suivant : on se gare, on paye sa place et on se dirige vers les transports en commun (tramway et bus dans le cas présent).[15]TBM, Plan du réseau tram, [consulté le 12/11/2019], Disponible sur : https://www.infotbm.com/sites/default/files/medias/fichiers/2019-06/GD_PLAN_TRAM_DEC2018_HD.pdf

Les risques économiques et sociaux

A mon sens, le principal obstacle à un réel développement économique de Bordeaux, de par la puissance modeste de son agglomération, réside dans sa capacité à se démarquer de la Région parisienne. Pour que la capitale girondine se démarque réellement de Paris et sa région, la France doit entamer une véritable décentralisation, comme je l’avais indiqué dans mes articles sur Metz. Pour l’instant, c’est bien le contraire qui se produit : la capitale contrôle désormais 30% du PIB français (contre 20% en 2011). Comme un déménagement des pouvoirs exécutifs et législatifs dans la deuxième agglomération française, Lyon, semble être une pure utopie[16]Dans l’Antiquité, Lugdunum fut pourtant la capitale des Gaules. Un panneau, sur l’autoroute du sud, rappelle aux automobilistes ce fait historique, il est plus probable que, si l’Union Européenne continue de se construire, la décentralisation de la France viendra, justement, de l’Europe avec les pouvoir exécutifs et législatifs continentaux à Bruxelles et à Strasbourg (le Parlement y est également par intermittence) et cela contribuera à un rayonnement économique dans les principales villes des différentes régions.

Ainsi, l’hyper-centralisation française représente un risque économique pour Bordeaux : la capitale girondine pourrait être cantonnée à un simple rôle de satellite local ou de sous-traitant avec le TGV pour assurer le lien avec les décideurs nationaux. Mais l’UE, de par son échelle continentale, représente une opportunité pour offrir un cadre politique plus autonome à la métropole girondine. Cette dernière aurait ainsi tout à gagner de continuer son développement en partenariat non seulement avec la tentaculaire Région parisienne – qui contrôle aujourd’hui, je le rappelle, 1/3 du PIB français – mais également avec d’autres agglomérations françaises et espagnoles : Toulouse et son aéronautique, Saint-Sébastien, Bilbao, Burgos ou Madrid. Des accords existent dans différents domaines : la formation en sciences politiques entre Bordeaux et Madrid[17]SCIENCES PO BORDEAUX, Fillière intégrée France-Espagne (Madrid), [consulté le 12/11/2019]. Disponible sur : https://www.sciencespobordeaux.fr/fr/formation/diplome-d-institut-d-etudes-politiques/doubles-diplomes-internationaux-cycle4/filiere-integree-france-espagne-madrid-fife-ICOZGXQO.html, la culture (urbanistique?) au travers d’un jumelage avec Bilbao [18]BORDEAUX, Jumelage Bordeaux-Bilbao, [consulté le 12/11/2019]. Disponible sur : http://www.bordeaux.fr/ebx/LinkResolverServlet?classofcontent=presentationStandard&id=5523.

L’industrie tient également sa place car l’Espagne importe des produits issus du bois et de la chimie en provenance des Landes[19]FERRET Benjamin, Infographie. L’Espagne, partenaire économique privilégié des Landes, le 6 mars 2018, [Consulté le 12/11/2019]. Disponible sur : https://www.sudouest.fr/2018/03/06/infographie-l-espagne-partenaire-economique-privilegie-des-landes-4257119-3452.phpcomme elle produit également des voitures de tourisme françaises. Le BTP et les transport jouent un rôle important en permettant les échanges de biens et de personnes entre la métropole bordelaise et ses voisines espagnoles, notamment via les infrastructures routières, ferroviaires et aéroportuaires.[20]BATIACTU, La relance du projet d’autoroute ferroviaire atlantique avec l’Espagne est confirmée, le 28/10/2015, [consulté le 12/11/2019]. Disponible sur : https://www.batiactu.com/edito/relance-projet-autoroute-ferroviaire-atlantique-avec-42592.php. En développant ces partenariats, Bordeaux et le Bassin d’Arcachon pourraient alors offrir leur pleine personnalité, c’est-à-dire un mélange de cultures venant du nord et du sud.

Du point de vue social, les transformations de la métropole bordelaise ne vont pas sans dommages. Ainsi, les réhabilitations d’immeubles dans le quartier Saint-Michel ont changé la population et l’esprit de cet endroit autrefois populaire. D’un côté les ravalements de façades entraîne une spirale vertueuse : une fois qu’un immeuble a bénéficié de travaux, son aspect “neuf” va inciter la (co)propriété voisine à effectuer également le même type de chantier. Le lieu tout entier va donc procéder à une vague d’entretien du patrimoine immobilier et développer l’activité du BTP et celle de l’immobilier (location-vente, gestion, conseil).

Cependant les familles aux revenus modestes sont progressivement, au fil des décennies, chassées du quartier St Michel et sont remplacées par des “Bobos” disposant de revenus et/ou d’un patrimoine financier élevé(s) ainsi que d’un bagage et d’une demande culturelle auxquelles les expositions locales vont s’efforcer de répondre, comme par exemples celles crées par l’association « la Halle des Douves ».  Cette dernière va essayer de faire “revivre” l’ambiance du quartier d’autrefois, ou tout du moins celle fantasmée par des couples de cadres supérieurs, tout comme l’aristocratie et la bourgeoisie parisienne du XVIIIe siècle s’imaginaient un monde idéal peuplé de bergers et de bergères, ainsi que l’attestent les tableaux de Wateaux (Le plaisir pastoral, Les bergers). Il n’empêche qu’une forme de nostalgie se dégage de certaines de ces manifestations culturelles du quartier Saint-Michel, comme si une part d’authenticité était partie dans les bagages des familles populaires.

L’argent attirant l’argent, un autre problème social et médical se pose également et que le maire Nicolas Florian dénonce de vive voix : Saint-Michel est un secteur quasi d’impunité pour ceux qui font du trafic de drogue.[21]ALLEVI Jean-Jacques, “La sécurité, enjeu de campagne”, in Le Point (dossier “Bordeaux après Juppé), 24 octobre 2019, p VII et VIII. Si des mesures comme l’illotage , c’est-à-dire le développement d’une police de proximité, ou le renforcement de patrouilles de nuit[22]idem semblent faire l’unanimité, il reste que dans ce domaine, la solution de fond réside dans la demande. Si cette dernière baisse ou s’arrête, le marché fera de même. Les associations peuvent jouer un rôle important en créant des liens sociaux dans le monde urbain “hyper-connecté” d’aujourd’hui, un monde avec ses défis (la solitude) et ses espoirs (donner un sens à son quotidien à travers une vie de quartier riche de ses habitants).

Continuer la diversification pour un futur plus serein

Pour résumer, Bordeaux dispose d’atouts dans différents domaines qui, s’ils sont bien utilisés, peuvent lui offrir une place prépondérante non seulement en France mais également dans l’Europe du sud. En effet, les touristes hispaniques ne manquent pas dans la capitale girondine (les panneaux touristiques sont d’ailleurs en espagnol).

L’appareil économique bordelais doit continuer à se diversifier : certaines de ses industries de pointes sont sujettes à débat comme le Laser Mégajoule, un laboratoire géant de simulation de bombes nucléaires c’est-à-dire d’armes de destruction massive, ou bien le Rafale, avion de combat hyper-sophistiqué (et cher!) produit par la société Dassault (et vendus récemment à l’Inde, pays en conflit avec le Pakistan) qui pourra justement porter et lancer ces armes atomiques[23]Avec le Rafale, l’Inde se sent prête à affronter le Pakistan, in Courrier International, le 9 octobre 2019, consulté le 8 novembre 2019. [Disponible sur:] https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/defense-avec-le-rafale-linde-se-sent-prete-affronter-le-pakistan. De plus, la formation et l’entrainement des pilotes étrangers provoquent des nuisances sonores supplémentaires que la population locale, humaine et animale, a du mal à supporter[24]HUPPENOIRE Camille, “Mérignac : avec le Rafale, les habitants craignent de nouvelles nuisances sonores”, in France Bleue Gironde, le 7 avril 2019, [consulté le 8 novembre 2019]. Disponible sur : https://www.francebleu.fr/infos/societe/merignac-avec-le-rafale-les-habitants-craignent-de-nouvelles-nuisances-sonores-1554565063.

L’Intelligence dite Artificielle[25]L’Intelligence dite Artificielle déclenche beaucoup de débats actuellement comme l’ont fait à leur époque nombre de nouveaux outils offrant de nouvelles possibilités et pouvant être utilisés pour ou contre l’espèce humaine. Cette technologie, qui existe depuis plusieurs décennies via notamment la simulation par ordinateur, mêle plusieurs disciplines comme, par exemple, l’informatique, la robotique, la biologie, la neurologie mais également la sociologie et la philosophie. Elle consiste essentiellement à automatiser des travaux de gestion de données, d’une façon la plus autonome possible. Elle peut être assimilée aux machines-outils à vapeur, qui ont progressivement remplacé des travaux répétitifs et fastidieux, voire dangereux, à l’intérieur des usines du XIXe siècle. s’est installée depuis plusieurs années à Bordeaux via des centres de formation comme l’Ecole nationale supérieure de cognitique de Talence ou l’Université de Bordeaux avec son Master Ingénierie OPTIM (optimisation mathématique et algorithmes pour l’aide à la décision). Microsoft prévoit d’installer également d’ici la fin de l’année 2019, une école dédié à cette thématique, en partenariat avec l’entreprise sociale numérique Simplon.

Des entreprises naissent ou innovent également dans des domaines plus traditionnels comme la maroquinerie ou l’architecture. Par exemple, la jeune société Minuit sur Terre[26]VIARD Marie, Minuit sur Terre, [consulté le 8 novembre 2019]. Disponible sur : http://minuitsurterre.com/, créée en 2017, fabrique des chaussures à partir de matières synthétiques ou recyclées donc sans effet direct sur les animaux. Le cabinet d’architecture Bruit du frigo qui a construit, depuis 2010, onze refuges péri-urbains aux formes insolites telle qu’un nuage ou un tronc d’arbre et se place dans une dynamique où l’architecte est au service des habitants et non le contraire, du moins d’après son responsable Yvan Detraz[27]DETRAZ Yvan, Bruit du frigo, [consulté le 12 novembre 2019]. Disponible sur : http://bruitdufrigo.com/ . Voir également : BORDEAUX, Bruit du frigo, [consulté le 12 novembre 2019]. Disponible sur : http://www.bordeaux.fr/o8100/bruit-du-frigo.

La prise en compte non seulement du cadre géographique du bassin de la Garonne et de l’Estuaire de la Gironde, avec l’ensemble de leurs paramètres, mais également de l’histoire sociale de Bordeaux, et notamment de ses mouvements migratoires, permettrait d’apporter plus de sérénité aux habitants de la métropole girondine.

Bordeaux aurait tout à gagner de continuer son développement en partenariat certes avec la colbertine Région parisienne mais également avec d’autres agglomérations françaises et espagnoles.

L’utilisation de technologies à des fins civiles permettra d’adoucir l’image des industries ayant des branches militaires, et celle de l’agglomération qui les héberge (en partie), et de pacifier des débats houleux suite aux contestations d’associations comme la Coordination anti-nucléaire du sud-ouest[28]GUITTENIT Monique, Assemblée de la coordination antinucléaire Sud-Ouest, Agen-Aquitaine, le 29 mai 2014, [consulté le 12/11/2019]. Disponible sur : https://www.sortirdunucleaire.org/Assemblee-de-la-coordination-antinucleaire-Sud ou la Commission de recherche et d’informations indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD)[29]CRIIRAD, [consulté] le 12/11/2019. Disponible sur : http://www.criirad.org/ opposées à toutes structures nucléaires et notamment au Laser Mégajoule du Barp[30]CEA, CESTA (centre d’Etudes Scientifiques et Techniques d’Aquitaine), le 2 octobre 2015, [consulté le 12/11/2019]. Disponible sur : http://www.cea.fr/Pages/le-cea/les-centres-cea/cesta.aspx(30 km au sud-ouest du centre de Bordeaux).

Ce laboratoire pourrait être utilisé, si ce n’est déjà commencé, pour réaliser des recherches civiles sur la fusion nucléaire, une des grandes pistes pour les politiques énergétiques européennes de demain, dans un contexte de faibles émissions de GES. Comme Bordeaux, dans son Histoire maritime internationale, a renoncé au commerce triangulaire pourtant florissant au XVIIIe siècle[31]RABAU Patrick, Bordeaux au XVIIIe siècle: Le commerce atlantique et l’esclavage, [consulté le 12/11/2019]. Disponible sur : http://www.musee-aquitaine-bordeaux.fr/sites/musee-aquitaine.fr/files/5._bordeaux_le_commerce_atlantique_et_lesclavage.pdf, le choix d’une orientation pacifique des différentes nouvelles technologies permettrait à la fois d’ouvrir des perspectives économiques pour la population régionale et de proposer cet idéal : un projet de société constructif ouvert sur le monde.

Merci au Pr émérite Jean-Noël SALOMON pour son aide, sa profonde connaissance de l’hydrologie et son expérience de terrain.

 

Bibliographie supplémentaire[32]IRSN, Faire avancer la sûreté nucléaire, [consulté le 12/11/2019]. Disponible sur : https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-centrales-nucleaires/reacteurs-nucleaires-France/Pages/1-reacteurs-nucleaires-France-Fonctionnement.aspx#.Xc27TtXjJPa, [33]TOCHEPORT Bernard, Regards photographiques sur Bordeaux et la Gironde, Bordeaux le Grand Théâtre, L’Opéra de Bordeaux place de la Comédie, [consulté le 10/11/2019]. Disponible sur : https://www.33-bordeaux.com/grand-theatre.htm.

 

 

Références[+]

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