EPFIF & CDC : les contradictions françaises en matière de logement

L’Etablissement public foncier de l’Ile-de-France (EPFIF), organe sous contrôle de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) a été mise en avant lors du Conseil Municipal du 17 mai à Jouy-en-Josas, et pour cause! Mme le Maire a fait voter une résolution permettant à l’EPFIF de gérer l’ensemble du foncier constructible, ou déjà construit, dans la commune. L’ancien leader de l’opposition, Grégoire Ekmekdje, a voté par procuration (il s’était fait excuser) en faveur de cette délibération, provoquant un certain remous au sein de cette opposition et une joie manifeste dans la majorité municipale. G. Ekmekdje avait pourtant fondé son programme 2020 sur la défense du cadre de vie de la commune et s’était fortement opposé à la construction, par le promoteur Franco-Suisse, d’un vaste projet de 129 logements sur une ancienne zone verte située en centre ville. 

Mais le plus important est qu’en faisant signer cette résolution, l’édile de Jouy-en-Josas transfère l’intégralité du pouvoir communal foncier à l’Etat. Ce qui entraîne plusieurs remarques et questions.

En premier lieu, faisons le point sur l’EPFIF : quelle est cette structure? Organisme étatique, l’objet de cette entité est d’acquérir, notamment via la préemption, des terrains permettant de construire du logement, à des prix en-dessous du marché, pour les Franciliens. Jusque là, pas de problème. Mais, comme contrib.city le fait régulièrement, regardons plus en détail derrière l’objectif officiel.

Tout d’abord, l’EPFIF fait partie d’un réseau national, celui des Etablissements publics fonciers qui sont sous la houlette du Ministère de la cohésion des territoires et de relations avec les collectivités territoriales, donc sous la houlette du chef de l’Etat, c’est-à-dire actuellement Emmanuel Macron. Or, si un pays montre bien un problème de cohésion territoriale depuis plusieurs siècles, c’est bien la France! Si l’hyper-centralisation, déjà évoquée par CC, a certes permis une unification linguistique et culturelle nationale [1]un mouvement inverse est d’ailleurs en train de s’opérer avec les langues régionales au grand dam du Ministre de l’Education Nationale, elle a également enclenché une énorme dichotomie  entre les métropoles provinciales et la Région parisienne. Comme CC l’avait déjà signalé, à titre d’exemple, la part du PIB francilien dans celui de la France est passé, depuis 2012, de 25% à 33%. La population francilienne, en 2017, représentait presque un Français sur cinq en France métropolitaine : les Franciliens représentaient très exactement 18,77 de la population métropolitaine en 2012. Ce chiffre est monté à 18,83% en 2017. Ce contrôle jacobin de la capitale sur l’ensemble du pays, y compris les Départements et les Collectivités d’outre-mer qui représentent une population de plus de 2,8 millions d’habitants (2019), réunit richesse et pouvoir en un seul lieu, mais, malheureusement, concentre également disparités socio-économiques et tensions environnementale sur la Région parisienne. Cette zone urbaine, déjà saturée, ne peut continuer à augmenter, dans le système français, qu’en grignotant inexorablement le restant des zones vertes de la région Ile-de-France. A titre de rappel, en 2012, les espaces verts franciliens représentaient encore les trois-quarts de la région. Cette proportion ne cesse de diminuer. Pendant ce temps-là, même si certaines métropoles de Province  se sont économiquement et démographiquement développées, comme les agglomérations de Lyon et Bordeaux, nous sommes toujours dans un rapport de 1 à 10, ou peut-être même davantage. Du coup, la “bête” se nourrit elle-même, attirant inexorablement investissements privés et publics, emplois et donc populations venant de France, de l’Union Européenne ou d’ailleurs. Tant que dans notre pays, la même entité urbaine gardera le contrôle à la fois des organes politiques (exécutif et législatif) et économiques, le super-aimant francilien continuera à tout absorber quitte à provoquer une sur-tension dangereuse localement mais aussi nationalement.

Il n’est pas sûr que la mouvance du télétravail suffise à contrecarrer la centralisation française. Le seul contre-pouvoir existant aujourd’hui et susceptible de remettre en cause cette organisation est Bruxelles, la capitale de l’UE (en partenariat avec Strasbourg). Dans tous les cas, la première contradiction est bien là : un Etat qui prétend vouloir assurer un logement accessible à tous, tout en favorisant la disparité socio-économique aux échelles de la commune, de la région et de la nation.

L’autre point qui a retenu mon attention est l’affichage officiel, par l’EPFIF, de plus d’égalité et de mixité sociale. Très bien! Mais dès que j’ai entendu à nouveau cette expression (rabachée à qui mieux mieux par nos Politiciens), le souvenir d’un livre sur la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), organe de contrôle de l’EPFIF comme déjà mentionné au début de cet article, est apparu : La Caisse, de Sophie Coignard et Romain Gubert (Seuil, 2017). Les auteurs nous apprennent, entre autres, qu’en 2017, le directeur de l’époque, Pierre-René Lemas, gagne modestement sa vie : “uniquement” 345.000 € par an, donc en-dessous du plafond de 450 k€. D’autres dirigeants comme Dominique Marcel, inspecteur des finances et ancien directeur de cabinet de Martine Aubry au Ministère des affaires sociales, est le P-DG de la Compagnie des Alpes, elle-même propriétaire d’un patrimoine foncier international, à vocation de loisirs.  La Compagnie est détenue à quasi 40% par la CDC. Bref, cet énarque arguant que la Compagnie des Alpes [était] cotée en Bourse et que son conseil d’administration [était] souverain pour décider combien il [gagnait], n’a pas voulu respecté le plafond de la maison-mère – la CDC – et a bénéficié d’un salaire, en 2015, de 564.867 euros[2]p27. De même, Serge Grzybowski, ancien P-DG d’Icade, filiale immobilière dans laquelle la Caisse est majoritaire, a, en 2013, et malgré son engagement sur le papier, bénéficié d’une rallonge de sa part variable, qui lui a permis d’empocher 584.000 euros au lieu des 450.000 budgétés (p 28). Problème : la Compagnie des Alpes est une structure financée à 40% par les contribuables français et dirigée par les fonctionnaires de la même maison-mère que celle de l’EPFIF, celle-là même qui prône l’égalité et la mixité sociale. Rappelons tout de même que le salaire médian français se situait à moins de 28.000 € bruts en 2016.

Dernier point de contradiction : à l’intérieur même du territoire francilien, la CDC, au-delà de ses discours, participe notamment à la centralisation interne de l’Ile-de-France et ainsi, à la disparité des territoires. Le siège du groupe est situé rue de Lille (VIIe arrondissement), c’est-à-dire dans un des quartiers les plus prestigieux de la Ville de Paris. Prix du foncier : 16352 €/m2 mais cela peut monter jusqu’à plus de 23.000 €. Mais que l’on se rassure : le département des affaires sociales est situé dans le 13e. Questions : et pourquoi pas l’inverse? Pourquoi ne pas mettre les départements sociaux dans le VIIe et le P-DG dans le 13e? Et tant qu’on y est : puisque l’on parle d’équilibre des territoires : pourquoi de pas installer le siège de la CDC à Angers ou à Bordeaux? Cela participerait, en donnant l’exemple, à diminuer la tension sur le territoire francilien et la disparité entre la Province et l’Ile-de-France.

D’autres questions émergent. La ville communique sur le fait que l’EPFIF (CDC) financera les programmes immobiliers mais ce sont les collectivités territoriales qui auront ensuite le contrôle des opérations. Est-ce vrai? Qui, en cas de conflit, aura le dernier mot : la petite collectivité territoriale ou l’Etat français doté d’un système présidentiel fort? La petite collectivité qui demande de l’aide financière et technique, ou bien la méga-structure qui apporte capitaux [3]peu importe que ces capitaux proviennent de la dette publique et savoir-faire? Croire que la commune garderait le pouvoir sur son foncier semble assez optimiste.

Comme le fait remarquer Henri Dumas, ces accords avec un Etablissement public foncier pose un sérieux problème vis-à-vis de la propriété privé : cette dernière est-elle toujours protégée ou bien est-ce que l’Etat français engloutit progressivement tout ce qu’il peut? Ce contrôle était établi à 56% du PIB avant la pandémie. Avec la crise socio-économique résultant des différents confinements, la dette publique a augmenté de plusieurs point depuis. La technostructure publique française se confronte à deux pressions qu’elle a elle-même générées : sa dette, équivalente à plus de deux fois les revenus publics, sans compter les engagements à long terme de l’Etat. Si la propriété privée venait à disparaître en France, que ce soit dans le secteur immobilier ou mobilier, l’impact serait dramatique : les investissements privés s’arrêteraient et les taux d’intérêt consentis à la France bondiraient et deviendraient brutalement, au contraire du Développement dont tout le monde se réclame, insoutenables (cf : l’Argentine et le Vénézuela).

Dans le cas de la disparition de la propriété privée, qui payerait la facture? Une autre manière de poser la question serait : qui possède, souvent après avoir travaillé toute une vie, un logement (appartement ou maison en banlieue) et un peu de réserve dans des livrets A ou Développement durable? Qui? Réponse : la classe moyenne. En effet, les ménages pauvres ne peuvent guère être plus pressurisés et sont relativement mobiles puisqu’ils n’ont aucun patrimoine immobilier qui les rattache. Les riches? Ils font partie des initiés, ont déjà pris leurs précautions et résident en-dehors de la France. Comme Jacques Attali l’avait écrit dans Une brève histoire de l’avenir, les nomades modernes, surtout les riches (en patrimoine matériel et/ou culturel) restent les vainqueurs du système, du fait de leurs souplesse et de leur adaptabilité. Il ne reste donc que les ménages disposant de revenus moyens et dont les activités sont indispensables à la gestion de la vie quotidienne (commerciaux, enseignants, infirmiers, conducteurs…). Leur patrimoine immobilier (essentiellement leurs logements) et leurs économies financières, notamment en assurances-vie – quelques 2000 milliards d’euros que M. Macron aimerait bien voir transformés en actions donc en prises de risques susceptibles de générer des revenus fiscaux – attirent les regards de nombreux élus et technocrates qui ne savent plus comment sauver leur système. Un système dont le sur-endettement est structurel.  

Deux points a retenir. Tout d’abord, quand la classe moyenne faiblit, c’est la démocratie qui plie. C’est aussi, à titre de rappel, cette classe qui fait pencher les élections dans un sens ou un autre. Aujourd’hui, le Rassemblement National représente un quart des votants en France : plus de 23% aux élections européennes de 2019, plusieurs maires RN élus en 2014 reconduits en 2020. Deuxièmement, une dette est toujours remboursée. Toujours. Par contre, quand elle ne peut pas l’être par ses débiteurs (la techno-structure), ce sont les créditeurs qui payent. En ce qui concerne la dette publique française, les créditeurs sont les marchés internationaux, certes, mais également les détenteurs de livrets d’épargne et de leurs propres logements. La boucle est bouclée.

 

                                                

 

 

Références[+]

3 réflexions sur “EPFIF & CDC : les contradictions françaises en matière de logement

  • 25 mai 2021 à 20 h 31 min
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    la maison de retraite juliette victor rapporte deja beaucoup à la caisse de depots et consignations entre les escrocs et les vendus nous sommes bien servi a jouy en josas

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  • 22 mai 2021 à 22 h 54 min
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    Je me demande si d’avoir voter UAPJ était un bon choix quand je vois que finalement leur leader monsieur EKMEKDJE, après avoir intégré dans la liste deux membres de la majorité joue une nouvelle fois le jeu de la majorité.

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  • 22 mai 2021 à 20 h 34 min
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    Je n’avais pas très bien compris le rôle joué par ces établissements publics fonciers, mais visiblement je constate que certains élus non plus. Pas rassurant du tout. Merci pour cet article monsieur De foulcault

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