Le Parlement français a-t-il un futur?

Notre Parlement national, en tant qu’organe démocratique, puise les raisons de son existence jusque dans nos racines gréco-latines. Plus tard, avec le Nouveau Régime, cette institution prit toute sa dimension en instituant la séparation des pouvoirs et donc un garde-fou vis-à-vis de l’exécutif. 

Cependant, aujourd’hui, le Parlement français amène deux questions : est-il toujours utile et en avons-nous toujours les moyens?

Certains des lecteurs de Contrib’City vont probablement être choqués par le titre de l’article. Mais aussi choquant que cela puisse paraître extérieurement, notre regard doit traverser la pompe liée à cette institution nationale, pour se porter sur une autre dimension géographique – celle du continent – et analyser également le problème financier, ou autrement dit la Dette.

Tout d’abord, rassurons nos lecteurs : le choix d’un régime démocratique n’est nullement remis en cause. Nous partageons pleinement le point de vue de Winston Churchill : La démocratie est le pire des systèmes, à part tous les autres. Alors pourquoi, justement, remettre en cause le Parlement français alors que nous venons de citer une des figures modernes les plus marquantes d’un régime parlementaire?

En fait, la question ne concerne pas tant le mot Parlement mais bien plutôt l’adjectif français du titre de l’article. Le parlement Européen, qui existe depuis 1952[1]Au départ, le Parlement européen, appelé l’Assemblée, n’avait qu’un rôle consultatif mais qui n’a obtenu un rôle politique réel qu’à partir de 1971 (compétence budgétaire), décide aujourd’hui des lois pour l’ensemble de l’Union européenne. Ce pilier de l’UE, car c’est la seule institution européenne à être élue directement, décide de 75% des lois en France. Le Traité européen, au grand dam de certains partis politiques nationalistes, oblige d’ailleurs l’intégralité des textes législatifs locaux à être conformes avec les lois de notre Union supra-nationale. Pour cela, le Parlement européen se dote de 705 députés, réunis en une seule chambre, et qui accomplit son travail législatif pour une union de 27 Etats-membres.

Le Parlement européen étend également son influence au-delà de l’Union européenne. En effet, les pays qui ont signé des traités avec l’UE doivent voter les lois qui sont liées à ces traités, en conformité avec le Droit européen. La Suisse, par exemple, ne pourrait avoir d’accords économiques avec l’Union Européenne (qui représente la moitié des exportations helvétiques) si cette première, dans les faits, ne respectait pas la liberté de circulation des personnes, des biens et des services. Le Royaume-Uni, quant à lui, en désaccord avec ce principe de liberté, s’est retiré de l’UE.  

Nous avons donc une institution démocratique, d’échelle continentale, qui vote le cadre législatif pour la vie quotidienne d’environ 450 millions d’Européens.

Au sein de ce cadre, le Parlement français n’a plus qu’à voter des lois d’adaptation au territoire français, pour une population de 65 millions d’habitants avec une seule langue (pour combien de temps encore avant l’introduction de l’anglais?). Au sein de ce Parlement français, nous avons l’Assemblée nationale qui compte 577 députés et le Sénat qui gère 348 sénateurs : 925 législateurs au total. Cela représente, par rapport au Parlement européen, près d’un tiers de parlementaires en plus pour une population presque sept fois moindre.  

Regardons maintenant la question du coût de fonctionnement du Parlement français, en comparaison avec celui de l’UE. 

Le budget de fonctionnement du Parlement européen, pour l’année 2019, était de quasi 2 milliards d’euros[2]1 999 144 000 très exactement dont 170.109.900 € de ressources propres.. Qu’en est-il du Parlement français? Le budget de l’Assemblée nationale, en 2019, s’élevait à 583.794.378 euros. Celui du Sénat, en 2019, montait à 323.584.600 . Cela représente un total de plus de 907  millions d’euros pour le système bi-camériste[3]Organisation législative qui comporte deux chambres. Généralement, il s’agit d’une “chambre basse” issue du “peuple” et d’une “chambre haute” issue de “notables” du pays. L’Union européenne n’a pas retenu ce système bi-camériste qui peut ressembler à un vestige du passé. Du bas latin caméra qui signifie chambre.. Notre système législatif français coûte donc l’équivalent de 45% du budget du Parlement européen mais pour une population presque six fois moindre.

Trois pistes de solution émergent. Mais elles risquent de faire grincer quelques dents.

Tout d’abord, supprimer le Sénat. Horreur!, me direz-vous. Par tant que cela, vous rétorquerai-je. En effet, in fine, cette chambre n’a qu’un effet consultatif : lorsque le Sénat s’oppose à l’Assemblée nationale, le vote de cette dernière l’emporte. L’utilité politique de la Chambre haute française est donc très relative. Par contre, cette suppression entraînerait une économie, pour le Parlement français, de plus d’un tiers de son budget de fonctionnement.

Ensuite, puisque le Parlement français n’a finalement qu’un rôle d’adaptation locale aux lois votées par le Parlement européen, est-on obligé de financer 577 députés locaux, c’est-à-dire l’équivalent de plus de 80% des législateurs de notre Parlement européen qui, lui, gère six fois plus d’habitants? Deux pistes s’ouvrent, avec possibilité de mixage : soit baisser drastiquement le coût de fonctionnement des députés français qui, du coup, garderaient leurs emplois préalables à leur mandat, comme cela est le cas en Suisse; soit diminuer le nombre des législateurs. On pourrait, par exemple, passer à une Assemblée avec un représentant régional par parti politique. Ce représentant devra respecter ses obligations vis-à-vis de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Il devra avoir récolté au moins 5% des voix au sein du territoire régional dont il serait le candidat, le tout pour un ensemble de dix-huit régions. On totaliserait autour d’une centaine de députés qui, parce qu’en continuant leurs emplois qu’ils occupaient auparavant, resteraient bien en contact avec les réalités que doivent vivre leurs compatriotes. Ensuite, cette organisation rendrait les législateurs peut-être plus libres par rapport à d’éventuelles carrières (politiques).

Le budget de cette Assemblée serait voté par un organe indépendant de cette dernière.

De toute façon, au vu d’un Etat français qui est endetté à presque six fois ses revenus en tenant compte de ses engagements, le système actuel non seulement n’est plus durable mais nécessite en urgence une réforme structurelle. L’Union européenne, de par son organisation démocratique, nous offre des opportunités qui auraient semblé, pour la plupart des gens, inimaginables voilà moins un siècle. Profitons de cette institution pour supprimer le décorum français, dont nous n’avons plus les moyens, et mettre en avant nos réalités locales par un scrutin législatif proportionnel simple, efficace et au service non plus d’ambitions de pouvoir mais de citoyens confrontés à une vie quotidienne souvent difficile.

Faisons nos réformes ; avant que d’autres nous y obligent, et ce pas forcément d’une façon démocratique et douce mais simplement en vertu d’un principe immuable : chaque dette doit être remboursée.

Le Parlement européen à Bruxelles. Bâtiment Altiero Spinelli vu depuis l’Agora Simone Veil,  le 30 mars 2022. Remerciements : Benoit Brummer / Wikipedia.                                                 

(Photo de couverture : Le bâtiment de l’Assemblée Nationale, Palais-Bourbon, vu depuis l’autre côté de la Seine. Photo : le 8 juin 2011. Remerciements : Jebulon / Wikipedia.)

Références[+]

2 réflexions sur “Le Parlement français a-t-il un futur?

  • 8 juin 2022 à 22 h 54 min
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    Super article! Très détaillé et très instructif. J’ai appris beaucoup de choses.

    De mon côté, je penche vers la deuxième option : garder le même nombre de parlementaires pour une meilleure représentation du peuple mais baisser drastiquement leur cout de fonctionnement. Aujourd’hui un député touche un salaire de 5 679 euros nets/mois, bénéficie d’une enveloppe de fonctionnement (AFM) composée d’un montant de 5 600 euros/mois. Enfin les députés bénéficient d’une allocation logement de 1 200 euros/mois pour se loger dans Paris. Un député aujourd’hui touche près de 10 000 euros/mois. Est-ce normal ?

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