Laurent Saint-Cyr : confirmation de sa vocation de marin (2e partie : l’âge adulte)

Après son premier convoyage entre la Martinique et Toulon, Laurent trouve finalement un travail de messagerie en moto pendant trois mois. Puis, avec un ami, Lionel, il se lance dans l’entreprenariat en lançant la Société Grand Large (une référence au lac de son enfance?) qui se spécialise dans – devinez quoi? – les bateaux, et plus particulièrement la location/vente pendant les beaux jours et l’hivernage en hors-saison. Mais tel le Marius de marcel Pagnol, notre Ulysse ne peut résister à l’appel du large et, en parallèle de son entreprise, repart en mer : l’été, comme skipper pour des croisières, notamment vers la Corse, et l’hiver comme moniteur pour des Parisiens mordus de voile. 

A l’âge de 30 ans, avec son copain, il vend l’entreprise et commence à s’ennuyer ferme. Il se positionne à nouveau dans le bâtiment et réhabilite des maisons. Pendant l’hiver, quand la météo n’est pas favorable aux chantiers,  il effectue des convoyages à travers l’Atlantique et la Méditerranée, dans un tourbillon d’aventures marines. Tourbillon au sens propre du terme, d’ailleurs. En 1990, Laurent appareille à bord d’un Lagoon 42 , à Boston, et met le cap vers la Martinique, en compagnie de sa copine et de son père (pour qui c’est le premier convoyage).

Nous sommes à la Noël et l’eau du port américain gèle par endroits. Le bateau est un catamaran confortable de 12,80m. C’est un multicoques donc il n’a pas de quille : sa légèreté lui permet de bien descendre les déferlantes. Et des déferlantes, Laurent va en avoir! Parti avec deux autres skippers qui dirigent deux bâtiments du même type, il va devoir affronter durant deux semaines ce qu’il appelle “des coups de vent”. Pendant quinze longs jours, il va jouer avec l’océan en furie, utiliser la force ahurissante des vagues[1]A titre de rappel, les vagues ne sont pas des masses d’eau qui bougent : elles sont créées par une onde marine qui se propage jusqu’au rivage. Dans l’Atlantique nord, lors de tempêtes, les vagues peuvent facilement atteindre une hauteur de dix mètres, tout en sachant que les plus hautes montent jusqu’à plus de trente mètres.. Cela signifie, pour un multicoque, qu’un capitaine expérimenté pourra utiliser la vague comme une sorte de toboggan sur laquelle le bateau glissera à toute vitesse. Mais attention! Dans le cas où le sommet de la déferlante rattrape le bateau et s’abat sur lui, la vague renversera le voilier comme un vulgaire fétu de paille. N’oublions pas non plus la caractéristique principale des multicoques : s’ils offrent un confort inégalé sur des eaux côtières chaudes, comme les Caraïbes, et permettent du fait de leur faible tirant d’eau[2]Hauteur minimale pour flotter en-deça de laquelle un bateau touche le fond marin. de contempler de près certains rivages paradisiaques, l’absence de quille signifie que leur équilibre absolu est le mat en bas et les flotteurs en haut. 

Ainsi, dans cette folle équipée démarrée à Boston en ce début d’hiver 1990, sur les trois bateaux, le deuxième est arrivé en vrac[3]Selon la propre expression de Laurent. dans les Bermudes. Le troisième a disparu, corps et âmes. Ce naufrage, ainsi que celui évité de justesse dans les Caraïbes, aura raison de l’entreprise Horizons Pluriels qui gérait (entre autres) ces catamarans.  

Heureusement pour lui, après ces deux semaines de convoyage, éprouvantes et dangereuses, Laurent et son équipage quittent brutalement le courant froid du Labrador et se retrouvent, en mois de vingt-quatre heures, dans les eaux du Gulf Stream, sous un climat sub-tropical[4]Sur la côtes est du continent nord-américain, on passe rapidement d’un climat sub-polaire à sub-tropical chaud. Au large de New York, en hiver, on peut rencontrer des icebergs tandis que moins de sept cent km plus au sud, à la latitude de Jacksonville (Caroline du nord), le mois de janvier affiche une température moyenne de 7,2 °c (contre 4,7°c à Paris). En revanche, sur la côte ouest des Etats-Unis, du Canada et de l’Alaska, le courant maritime Kouro Chivo (Pacifique nord) apporte un climat doux jusque très au nord. Par exemple, la commune de Sitka (côte sud-ouest de l’Alaska) bénéficie d’une température moyenne de 0,5°c en janvier alors que celle de Nain (labrador, Canada), ville située à la même latitude mais de l’autre côté du continent, affiche -14,8°c en janvier également. Le même phénomène se passe avec le continent eurasiatique..

                                                                      A la cape, retour des Antilles, 1986.

Après cet épisode qui confirmera à la fois sa vocation et sa réputation de marin, Laurent continuera les convoyages. Différents moments forts l’attendent : au cours de l’un d’entre eux, près du Cap Finisterre, dans le Golfe de Gascogne réputé pour sa météo et sa mer capricieuses, particulièrement en hiver, une déferlante couche le bateau, un Océanis 500 (50 pieds, c’est-à-dire 15,24 m, et pesant plus de 15 tonnes). Les deux hommes de quart sont emportés par la vague! Heureusement, en capitaine expérimenté et prudent, notre Ulysse leur avait demandé d’attacher leur harnais à la ligne de vie[5]La ligne de vie est un câble sécurisé qui longe les deux côté de chaque bateau. Lorsque le temps forcit, il est très vivement recommandé d’attacher le mousqueton du harnais du gilet de sauvetage à ce câble.. Cependant, comme il s’agit d’un quillard, le lest fait son œuvre et le bateau retrouve son équilibre absolu : la quille vers le bas et le mât vers le haut (le contraire des multicoques)! 

Une autre fois, Laurent est en route vers la Turquie. Nous sommes en novembre. Force 9 sur l’échelle de Beaufort. La mer est blanche d’écume et fume. Ulysse décide de mettre à la cap, c’est-à-dire de border le tourmentin[6]Le tourmentin est une très petite voile d’avant, en tissus épais, que l’on utilise lors des tempêtes. tout en mettant la barre en opposition afin d’immobiliser et de stabiliser le bateau. C’est un peu la manière des marins de faire le dos rond quand il n’y a plus grand chose d’autre à faire.

Autre moment étonnant : notre navigateur est entre la Sicile et les Baléares. Comme dans la chanson, les vivres viennent à manquer, notamment du Camembert, du vin et du tabac. Qu’à cela ne tienne, Laurent croise, en pleine méditerranée, la route de son copain Lionel avec qui il avait créé, une bonne dizaine d’années plus tôt, Grand Large, leur société de gestion de bateaux. Loin de toutes côtes, les voiliers se mettent bord à bord, et les deux capitaines échangent force embrassades, rires et nourriture!

                                                                      La pêche
                                                                                Sauvetage d’une tortue prise dans un filet

Un autre épisode a retenu l’attention de Laurent. Nous sommes en décembre. Parti de Sainte Maxime, il a pour cap Majorque où il compte faire escale. Sauf qu’entre les deux, le vent monte à Force 8 et la Grande Bleue se transforme en furie déchaînée, creusant ses vagues comme elle seule sait le faire. Une vague plus grande que les autres emporte Laurent comme une poupée de chiffon, malgré le fait qu’il était solidement installé dans le cockpit. Revenu à bord, il reprend la barre au milieu des éléments déchaînés. Au bout de 42 heures à la barre, une lame, plus sournoise que les autres et profitant de la fatigue du capitaine, déferle sur le voilier et la mer emporte à nouveau le skipper! Son harnais, attaché à la ligne de vie, lui aura donc sauvé la vie deux fois en un seul voyage.                                                                       

Cependant, vers l’âge de quarante ans, notre Ulysse, après un mois de vacances, prend une décision : fini les accompagnements de touristes! Désormais, il naviguera sur le même bateau et conduira ce dernier là où son propriétaire navigant lui demandera. Il trouve un poste de skipper sur une goélette aurique de 21,50 m de long (tout dehors) et de 50 tonnes : le Blue Lion.

Pendant plusieurs années, Laurent voguera à bord de ce magnifique bâtiment, heureux comme un pape, payé à faire ce pour quoi d’autres sont prêts à verser des fortunes! Tout dans son élément, il continuera à naviguer sur les eaux qui lui sont connues désormais : la traversée de l’Atlantique vers les Caraïbes en utilisant les Alizées et le courant nord-équatorial puis, dans le sens inverse, grâce au Gulf Stream (vent et courant); sans oublier les convoyages transméditerranéens.

                                                                              Déjeuner à bord, Iles Lavezzi, Corse.
                                                                    Escale des Açores. Tradition des logos sur la digue.
                                                                        De bon matin : beau temps, belle mer.

Cependant, le propriétaire magique arrête un jour de naviguer et met son bateau à quai pour longtemps. Ulysse décide alors d’aller vers un continent mystérieux qui a toujours fait rêver les marins : l’Afrique! 

(Photo de couverture : La Goélette Blue Lion aux Antilles; peut-être Dominique.)

Références[+]

3 réflexions sur “Laurent Saint-Cyr : confirmation de sa vocation de marin (2e partie : l’âge adulte)

  • 21 septembre 2020 à 11 h 13 min
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    Il y a cinquante ans, j’aurais cherché à faire équipe avec Laurent le magnifique!

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  • 29 août 2020 à 15 h 10 min
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    Bonjour,
    Ai eu courant 1986 la chance de participer à des sorties en compagnie de Laurent sur Blue Lion en baie du Marin en Martinique.
    Comment puis-je entrer en contact avec Laurent St Cyr ?

    Merci.

    Philippe.

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    • 29 août 2020 à 15 h 32 min
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      Bonjour Philippe, merci pour votre message, jeté un peu comme une bouteille à la mer. Je transmets votre message à Laurent. Pouvez-vous, svp, me tenir au courant? Le prochain et dernier article sur son témoignage devrait arriver d’ici ou à deux semaines.
      Bien à vous,
      Bertrand

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