Le jeu des îles – Hœdic

Prenons un jeu de société dans lequel le défi serait le suivant : vous devez développer un territoire soumis à quelques difficultés. Ces dernières sont les suivantes : isolement, petitesse, érosion, manque d’eau potable, inondation, mono-économie, fragilité économique et militaire, sous-démographie, surpopulation, faune et flore en péril, pollution intérieure et extérieure, et enfin, risque de submersion. Vous me répondriez, avec raison, que ce jeu est stupide puisque aucun participant n’a une quelconque chance de gagner.  Et pourtant, ce “jeu” est la vie et la lutte quotidiennes que mènent la plupart des îliens pour survivre, au travers de leurs sociétés commerciales, associations et collectivités locales, malgré l’ensemble des handicaps mentionnés ci-dessus. Le tout aggravé par l’épidémie actuelle du virus Corona et ses conséquences sanitaires et socio-économiques.

Comme quelques articles ne suffiraient pas pour parler de l’ensemble des archipels français de par le monde, j’ai choisi des territoires insulaires que je connais : parmi les îles du Ponant, j’ai sélectionné, dans l’ordre de croissance, Hœdic, Houat et Belle-Ile. Chacune, avec ses spécificités locales, doit non seulement gérer les grandes difficultés inhérentes à l’insularité, mais elles doivent également trouver aujourd’hui de nouvelles solutions face à une épidémie qui a bouleversé la donne. Heureusement, des pistes existent : en effet, si l’environnement socio-économique évolue, les technologies font de même et contribuent à changer les habitudes de vie des habitants, sur le continent comme sur les îles.   

Mais avant d’aborder les solutions, jetons un coup d’œil sur chacune de ces trois îles mentionnées ci-dessus et commençons par la plus petite et qui recèle un charme fou : Hoedic (du breton Edig, c’est-à-dire canneton).

(Photo de couverture : le port de l’Argol, à Hœdic, depuis l’entrée du bourg. Le nom de l’île vient du breton edig, c’est-à-dire le caneton. A l’arrière plan, on aperçoit la côte de la Baie de Quiberon. Toutes les photos de l’île ont été prises par l’auteur le 20 août 2020).

Hœdic la charmante

Rêves et défis du tourisme

Cette commune se distingue tout d’abord par le fait qu’elle se classe parmi la plus petite du département du Morbihan. Avec ses deux km², ce territoire se positionne en-dehors des règles principales de l’aménagement du territoire. En effet, son activité économique et sociale repose essentiellement sur le tourisme[1]Le tourisme fait partie du secteur tertiaire, c’est-à-dire celui des services. Le secteur primaire regroupe les activités agricoles, le secondaire désigne l’industrie. Attention : quelque fois, surtout lorsque l’on parle de tourisme de masse, l’expression industrie touristique est utilisée. Même si l’on comprend l’image, cela reste un abus de langage., dans un cadre démographique bien connu des sites touristiques : un tsunami démographique en période de pointe dans un désert humain hors-saison. Regardons les chiffres : en 2014, la population était de 122 habitants, contre 400 dans les années 1930. Et la tendance n’est pas à la hausse car le dernier recensement, déplore le maire Jean-Luc Chiffoleau, a fait passer le nombre d’Hœdicais à 99 exactement, donc en-dessous du seuil fatidique de la centaine (source : INSEE). Le nombre de conseillers communaux a donc dû être diminué, ce qui attriste le maire qui y voit une régression de l’influence de l’île et donc de sa capacité à se défendre dans un monde où les collectivités locales, derrière une image de bonne entente entre elles, se livrent une concurrence sans merci pour attirer les moyens de développement, voire de survie, et préserver, autant que possible leur indépendance et leur culture propre.

Du point de vue démographique, d’après J.C. Chiffoleau, la petite communauté, en hiver, se compose de 80 personnes qui se partagent un parc de 209 hectares. Ce petit groupe, où chacun se connaît, pour le meilleur ou le pire, bénéficie d’un climat océanique : températures douces (les périodes de gel ou de neige sont rares) et pollution atmosphérique…faible! De plus, les lumières hivernales, jouant avec la terre et l’eau, offrent des teintes pastelles d’un charme fou. Enfin, si le jardin mesure 209 hectares (quel citadin peut se vanter d’avoir un tel parc urbain?), le bassin qui l’entoure, l’Atlantique nord, s’étend sur plus de 100 millions de km², ce qui laisse tout de même pas mal de place pour nager, naviguer ou juste contempler les paysages maritimes.

Mais Hoedic la charmante peut également se transformer en Hœdic la rude : l’hiver, uniquement l’épicerie, la boulangerie, le café La Trinquette (terme marin : voile que l’on met devant et près du mat), l’église (3 pratiquants l’hiver, d’après le maire) et la mairie/Poste sont ouverts. Ces lieux assurent le lien social. A ce titre, le courrier n’est pas distribué exprès : les gens sont “obligés” d’aller chercher leurs courrier et ainsi taper la causette avec leurs voisins. En basse saison, une certaine forme de solitude et d’isolement représente un risque pour cette petite île. De plus, quand de fortes et brutales dépressions atmosphériques, venant de l’ouest, s’abattent sur le Golfe de Gascogne, l’île et son cadre marin peuvent véritablement se transformer en furie : il devient dangereux de rester sur la lande car le risque d’être emporté, notamment pour les enfants, est réel. La terre est ballotée entre l’océan et le ciel : les déluges montant et descendant entrent dans une valse infernale : le Caneton et ses habitants se retrouvent aux prises avec les éléments déchainés, comme des jouets aux mains d’une Charybde[2]Charybde est la fille de Poséidon, le dieu de la mer, et de Gaïa, la déesse symbolisant la Terre. Ce mythe grec prendrait comme origine le détroit de Messine, situé entre la Sicile et l’Italie, où règnent de forts courants marins qui provoquent des tourbillons. Notons au passage que l’entrée du Golfe du Morbihan, à 15 miles nautiques au nord-nord-ouest du Port de l’Argol, est confronté quotidiennement à des courants pouvant aller jusqu’à 12 nœuds. Ces derniers génèrent de véritables tourbillons qui peuvent mettre en péril tout nageur un peu trop éloigné du bord, ou bien pouvant même faire tournoyer un quillard de 10 mètres pesant plusieurs tonnes. en furie.

Mer formée sous un vent de force 6, c’est-à-dire entre 40 et 50 km/h (échelle de Beaufort). On peut imaginer l’état de la mer quand l’ouragan Axel a déferlé sur la Baie de Quiberon avec des pointes à 186 km/h, dans la nuit du 1er au 2 octobre 2020. A titre de rappel, l’échelle des cyclones commence à 200 km/h mais ce type d’évènement climatique arrive, normalement, dans des climats tropicaux (Caraïbes par exemple) et non pas océaniques (Bretagne). Photo (BdF) prise le 21/08/2020, à 8h15 du matin, depuis Port Maria. Au large, on aperçoit Belle-Ile. L’augmentation de l’intensité et de la fréquence de ces épisodes atmosphériques n’est pas sans compliquer la vie insulaire.
Le phare de Port-Navalo guide les marins à l’entrée du golfe du Morbihan d’où viennent la plupart des navettes reliant le continent à Hœdic. Les courants, à cet endroit, par coefficient de marée de 110, peuvent atteindre 12 nœuds. La zone est donc dangereuse surtout lors des fortes affluences de plaisanciers en été.

Dans ces cas-là, un seul objectif : se mettre à l’abri avant l’évènement climatique et faire le dos rond, surtout pour ceux qui voyagent régulièrement en mer. Attendre que le temps se calme, en espérant que les dégâts ne soient pas trop forts, avant de reprendre le cours de la vie. Lors de la tornade de cet été, le lien social a joué à plein se félicite le maire : 120 personnes ont été immédiatement hébergées, sans que la mairie n’ait eu besoin de faire une quelconque demande. Pour l’édile de l’île, pas de distinction entre les visiteurs et les îliens : tous partagent et aiment ce lieu unique.

Mais cette entente entre touristes et résidents n’est pas toujours présente : les rêves et les désirs des uns ne correspond pas toujours avec l’utilisation et la gestion territoriale des autres. Les campeurs viennent chercher un endroit sauvage et peu réglementé – du moins le pensent-ils – afin de pouvoir se lancer dans des manifestations festives tonitruantes, peu en adéquation avec le calme que recherchent les plaisanciers et auquel sont habitués les îliens. Les amateurs de camping, qui doivent gérer également leurs déchets, ont vu leurs nombre grandir : en l’an 2000, Hœdic accueillaient 50 tentes pendant l’été, près de l’église. Aujourd’hui, l’emplacement a été déplacé près du fort construit pas Vauban. Du fait du développement du camping sauvage qui devint un mouvement populaire, l’Etat ordonna que les sites dédiés à cette activité ne demeurent plus près des rivages marins. Actuellement, 190 emplacements existent à Hoedic, ce qui représente une population de 400 personnes en théorie. La réalité est au-dessus. Pour obtenir une place, il faut réserver. Mais que se passe-t-il lorsque des jeunes ou une famille s’aperçoivent qu’il n’y a plus aucune place de libre et que le dernier bateau est parti? Il faut bien qu’ils s’installent quelque part, au moins le temps d’une nuit! C’est ainsi qu’Hœdic accueille, en moyenne, entre 700 et 1000 personnes pendant les vacances d’été et sa population, hors visiteurs journaliers, monte à 3000 âmes (contre 80 résidents en hiver). L’île voit alors sa population totale passer de 80 à presque 4000 estivants (3000 habitants estivaux + 850 journaliers), soit une multiplication par 50 du nombre initial, entre mai et juillet. La densité varie alors de 38 habitant au km2 contre 1900 au km² en été. A titre de comparaison, la densité française est de 118 hab/km2 et celle de l’Ile-de-France, siège de la mégalopole parisienne, de 1013 hab/km². Si l’on prend en compte le fait que la zone urbaine (ZU) d’Hœdic ne représente que 10% du territoire îlien, on obtient une densité de 19.000 hab/km², soit un chiffre proche de celui de Paris intra-muros (hors bois de Boulogne et de Vincennes et espaces verts) : 25.500 hab/environ. 

Les plus anciennes traces de groupements humains à Hœdic datent de plus de 5000 av. J-C. Coïncidence : en plus du squelette retrouvé dans une tombe préhistorique, le rappel relatif au Covid nous rappelle la fragilité des îles, par définition des espaces clos, face à une épidémie une fois que cette dernière est introduite.

 

Ce brutal changement démographique se réalise dans un environnement fragile. En plus de l’érosion hydraulique et éolienne, le Canneton doit supporter celle générée par le tourisme : les sentiers côtiers et la lande, martelés par des milliers de passages, sont profondément transformés, agrandis ou carrément multipliés par la création inopinés d’autres chemin du fait du non-respect des sentiers balisés. Le vent salé du large représente une menace constante pour la flore : il gène le développement des végétaux et donc des biotopes[3]De “bio”, la vie et “topos”, la maison : les différents milieux spécifiques où vivent les plantes et animaux. insulaires. Le bouleversement environnemental que représente le secteur touristique doit donc être pris en compte.

Au défi de l’érosion, ajoutons celui de l’eau potable : la nappe phréatique existante peut approvisionner 900 habitants, selon le maire. Mais pas 3000! L’eau suit ce circuit : elle est stockée, traitée en fonction de la demande puis distribuée. Cependant, en été, du fait aussi que les estivants ne réussissent pas toujours à se rendre compte à la fois de la rareté de l’eau douce sur le Caneton, et de la quantité phénoménale d’eau potable consommée en moyenne, sur le continent, dans un cadre de vie urbain moderne (1 m3/personne/jour environ). Ces deux facteurs (ignorance et habitude) provoque un stress hydrique au Petit Canard : la municipalité est alors obligée de réaliser des coupures d’eau comme lors du 10 juillet dernier. Du fait d’un pic de fréquentation, et donc de consommation, la distribution a été arrêtée entre 14h00 et 18h00. Durant l’été 2018, les pompes ont été désamorcées deux fois : la nappe avait atteint son niveau minimal, du fait d’une sur-population et d’un pic de chaleur qui à la fois a favorisé l’évaporation et a poussé les gens à consommer plus d’eau.

L’effet Ibiza

Hœdic doit donc gérer sa ressource principale, le tourisme (plus de 80% des emplois), tout en veillant à limiter les conséquences négatives de cette activité. Le problème ne se limite pas à la nappe phréatique : il est plus profond. Il faut chercher, comme souvent, dans la représentation symbolique de chaque territoire, et de la manière dont les être humains vont chercher à réaliser cette représentation.

L’appel au voyage. Comme Charles Baudelaire ou Jacques Brel l’ont si bien écrit, les îles évoquent le Paradis perdu : un lieu enchanteur, paisible, libre, magnifique, propice à l’amour. Voire à la fête pour les jeunes urbains!

Selon J.C. Chiffoleau, le Caneton est apprécié pour son aspect sauvage. Donc de nombreux jeunes veulent y aller pour vivre une aventure différente du milieu urbain sur-peuplé. Quitte à être sur une île sauvage, dans un Paradis enfin retrouvé, faison la fête! Une “célébration” joyeuse, de plus sur un territoire administrativement accessible du fait qu’il se situe à l’intérieur des frontières française, Codid oblige, attire d’autres personnes, par le biais notamment des réseaux sociaux instantanés. Et voilà comment la municipalité se retrouve confrontée à des soirées extérieures bien arrosées, sonores et laissant derrière elle de nombreux vestiges, vestiges qui intéresseront sûrement les futurs archéologues et anthropologues mais qui gênent considérablement les habitants et leurs élus actuels qui doivent, de plus, veiller à ce que l’image de “Paradis perdu” d’Hoedic ne se détériore pas. En effet, un territoire peut être entraîné dans une spirale de consommation : il est découvert, utilisé, détruit puis jeté. Bien au fait de ce risque, les Hoedicais, qui nettoient une fois que la fête estivale est terminée, essayent de gérer la situation en mettant des panneaux rappelant la rareté de l’eau sur l’île.

La gestion du tourisme de masse est d’autant plus nécessaire que l’apport ne se fait pas uniquement par le biais du camping, des navettes quotidiennes. Les bateaux de plaisances, et notamment les semi-rigides, posent des problèmes de mouillages un peu sauvages, avec toujours la question de la gestion des déchets, à tel point que les édiles des trois îles – Hœdic, Houat et Belle-Ile – ont tenu un conseil afin de trouver des solutions. Enfin, il ne faut pas oublier les paquebots. En juillet dernier, le paquebot de luxe Le Ponant – 190 cabines –  a mouillé près du port de l’Argol. Du fait de l’épidémie du virus couronné, le bateau n’était que partiellement rempli et uniquement 20 passagers ont débarqué. Mais que ce serait-il passé si 300 personnes avaient accosté sur le Caneton, en plus des 850 journaliers? 

Le sentier côtier, par un bel après-midi. Il doit “supporter” le passage des résidents, des touristes logeant sur place ainsi que des visiteurs journaliers. En tout : 3000 personnes par jour.

Un autre exemple pour montrer la pression touristique, issue de la représentation de ce territoire, qui à la fois pèse et bénéficie à l’île : en plus des résidences secondaires, l’île propose un parc de lits via des gîtes communaux. Le 5 janvier de chaque année, ces gîtes sont mis en location. Deux jours plus tard, les réservations sont complètes pour tout l’été : le mot s’est transmis, notamment via les réseaux sociaux! C’est à celui qui sera le plus rapide et “attrapera” un lieu de vacances à des conditions tarifaires en-dessous de celles des résidences secondaires situées à côté.

(suite à venir).

Références[+]

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