Le procès collectif contre la mort

Mercredi 3 mars, au Tribunal de Paris, a eu lieu le premier épisode d’un procès en action collective de plus de 600 plaignants contre plusieurs structures publiques et privées, dans le cadre de l’épidémie du Covid 19 et plus particulièrement la gestion des masques et l’administration de psychotropes. Il s’agissait d’un référé probatoire afin de déterminer si la plainte, orchestrée par Me Lèguevaques, était recevable. D’un côté, la souffrance commune face à la mort de parents ou de proches, essentiellement dans des maisons de retraite, appelées aujourd’hui EPHAD, ou dans des établissements de santé. De l’autre, les défendeurs qui, tout en reconnaissant cette douleur, plaident une absence de lien entre les différents plaignants. Les avocats de la défense évoquent aussi l’argument selon lequel les accusations manquent d’une base juridique commune : trop de plaintes diverses qui rendent invalide le recours à une action collective.

Lucien Cavelier, un des militants du groupe des plaignants, durant une interview après l’audience. Il est psychologue à Marseille. Il a écrit Agonie Covid-19 : chronique d’une déchéance politique, publié en décembre 2020 par Eric Jamet Editeur. L’auteur analyse la situation sous l’angle psychologique, social et politique. De nombreux témoignages viennent donner chair à son ouvrage  (photo BdF, le 03/03/2021).

De ce procès, une impression claire se dégage : celle de David contre Goliath. D’un côté, le peuple, essentiellement des personnes physiques (mais aussi quatre associations) aux capacités financières limitées. De l’autre, à côté de la Ville de Paris, des mastodontes publics tels que la Direction générale de la santé, l’Agence régionale de Santé d’Ile-de-France, la Haute autorité de santé, l’Agence nationale de santé publique et enfin les Douanes, disposant de budgets illimités puisque dépendant de l’Etat, directement ou indirectement, et que ce dernier peut s’endetter, pour l’instant, sans soucis de remboursement. A ces structures publiques, se sont joints des géants du privé – la Fondation de Rothschild, les Assurances Axa, les distributeurs Carrefour et Leclerc, sans oublier plusieurs autres structures : LNA Santé doté tout de même d’un personnel de 6500 salariés et réalisant un chiffres d’affaires de presque un demi-milliard d’euros, ainsi que les EHPAD La Seigneurerie et Camille St Sens (Groupe SOS).

D’un côté, un seul avocat, Maître Christophe Lèguevaques, docteur en droit, qui essaye de pousser les murs de la jurisprudence selon ses propres mots lors de l’audience. De l’autre, un avocat par défendeur, c’est-à-dire une quinzaine en tout. Le procureur de la République, la personne chargée de représenter l’intérêt public, plaide pour l’irrecevabilité de la demande des plaignants : il se place, dès lors, du côté des défendeurs. Me Lèguevaques est donc seul contre tous.

Maître Christophe Lèguevaques, avocat unique des 624 plaignants (durant les plaidoiries), durant une interview après l’audience. Son leitmotiv : la créativité (juridique) et développer les class actions (action collectives) en France. (photo BdF, le 03/03/2021).
Un des quinze avocats de la défense, représentant une des structures publiques nationales. Sa plaidoirie, clairement exprimée, portait sur l’argument de la multiplicité des plaignants, sans réel lien entre eux, et de la variété des demandes. D’après lui, ces deux points sont incompatibles avec une action collective. (photo BdF, le 03/03/2021).

Une question demeure : est-ce que les plaignants n’auraient pas plutôt dû poser ce débat dans la sphère législative? Maître Lèguevaques, durant l’audience, a parlé de son souhait de créativité en matière juridique. Et de la créativité, ce docteur n’en manque pas puisqu’il a créé une plateforme d’actions collectives équitables : www.mysmartcab.fr. Cependant, selon ce même spécialiste, Le droit français a attendu plus de 30 ans pour finalement accepter du bout des lèvres les “class-actions” et le cadre législatif français n’encourage pas vraiment ce type de procédure. L’arrivée des “actions de groupe” à partir de la loi Hamon de 2014 constitue en réalité un trompe-l’œil. L’action de groupe [n’]est possible [que] “Lorsque plusieurs personnes placées dans une situation similaire subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles” (article 62 de la loi du 16 novembre 2016).

La prochaine audience aura lieu le 9 juin 2021 durant laquelle le juge devrait donner sa décision à savoir si la demande collective des 624 demandeurs est recevable. Cependant, quelle que soit la réponse du magistrat, face à un passage inéluctable pour chacun d’entre nous, face au vieillissement biologique programmé des cellules de notre corps, est-ce que ce procès ne nous renvoie à la manière dont nous regardons nos aînés et la question spirituelle de la vie et de chacune de nos existences? 

Photo de couverture : le parvis du Tribunal de Paris, dans le quartier des Batignoles, en plein réaménagement. Le 3 mars 2021, BdF.

 

 

 

2 réflexions sur “Le procès collectif contre la mort

  • 6 mars 2021 à 11 h 11 min
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    Bonjour,
    Toujours aussi intéressant vos articles. Bravo

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  • 6 mars 2021 à 11 h 08 min
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    Appartenant au groupe biologique “bon pour l’EPHAD” (expression courtoise pour souhaiter “bon débarras!”), je reste sensible aux questions éthiques fondamentales ainsi posées par le regard de la société à laquelle j’ai appartenu et à ses préoccupations actuelles.

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