Agnès Buzyn rattrapée par le temps de la Justice

Le temps de la Justice n’est pas conforme au temps des vies modernes trépidantes marquées par l’immédiateté. Le temps de l’enquête, le temps de la découverte, le temps de la vérification n’est en rien le temps de notre quotidien.

Si parfois la Justice peut montrer qu’elle déraille, elle n’en reste pas moins une Justice humaine. Derrière elle, se cache des femmes et des hommes qui, dans leur diversité, prennent des décisions détestées ou adulées. Ces décisions, parfois, donnent raison à La Fontaine mais c’est ainsi, faute de pouvoir divin pour juger tout le monde. Tant mieux!

La temporalité de la Justice, c’est en tout cas ce qu’à vécu Agnès Buzyn vendredi 10 septembre. Confortablement installée dans le siège de fonctionnaire international de l’O.M.S depuis janvier 2021 et sans doute rassurée sur son sort après tant de temps à disparaître des écrans, mais il n’en était rien. Elle a dû se rappeler de sa fraîche gestion de la crise du Covid-19 lorsqu’elle a reçu une convocation à une audition le vendredi 10/09 à 9h dans les locaux de la Cour de Justice de la République.

En effet, si le statut de fonctionnaire international de l’O.M.S offre de nombreux privilèges, il n’offre aucunement celui de l’immunité judiciaire.

Mais c’est pourtant ce qu’elle croyait, habitée par l’impunité qui caractérise si bien les politiques aujourd’hui. En effet, Mme Buzyn avait posé un lapin aux enquêteurs en juillet 2021 : elle ne s’était tout simplement pas rendue à une première convocation des magistrats à la CJR. Ces derniers avaient donc dressé un procès-verbal de non-comparution, avant de lui donner un autre rendez-vous, ce vendredi 10 septembre.

Ajoutons que les perquisitions réalisées en octobre 2020 par les forces de police dans les locaux des institutions publiques et dans les appartements des ministres avaient alors permis à la police de mettre la main sur des éléments attestant de carences dans la gestion de la crise du Covid-19 par l’Etat français à travers son gouvernement.

C’est d’ailleurs ces éléments qui ont poussé les magistrats à ajouter une mise en cause dans la procédure. Agnès Buzyn était initialement visée pour abstention de combattre un sinistre. Les magistrats ont ajouté aujourd’hui une mise en danger de la vie d’autrui.

Pour rappel, comme s’il en était besoin, Mme Buzyn fait partie de l’équipe ayant géré très hasardeusement la première partie de la crise du Covid-19. Manque d’équipements, de protections pour les soignants et pour la population, errements permanents sur la nécessité de porter des masques.

Mais encore son départ soudain du ministère pour la campagne des municipales, pendant que Griveaux le secrétaire d’Etat et candidat à la mairie de Paris était trop occupé à se masturber et à démissionner, alors que selon Mme Buzyn elle-même, le “tsunami” devait arriver. En effet, si elle savait, pourquoi est-elle partie de son poste ?

Le médecin et sénateur de centre gauche Bernard Jomier, en défendant Agnès Buzyn, met en cause discrètement sur France Info le chef de l’État et le premier ministre : en a-t-il conscience ?

Bernard Jomier : Pour notre part, nous avons constaté, après des travaux importants, une audition longue, l’examen de nombreux documents, qu’Agnès Buzyn a eu une intuition précoce. Elle a très vite compris fin 2019, début 2020, qu’il se passait quelque chose de grave avec ce virus. Elle a alerté le Premier ministre et le chef de l’Etat tôt au mois de janvier et il y a un décalage entre ces alertes précoces et la mise en marche de l’appareil d’Etat. 

Décalage entre des alertes précoces et la mise en marche de l’appareil d’Etat ? Si ce sénateur dit vrai, les convocations ne devraient pas s’arrêter à Agnès Buzyn.

Jean Castex, quant à lui, a réagi à la convocation d’Agnès Buzyn : il a prétendu ne pas pouvoir commenter un processus judiciaire en cours. Pourtant, il n’avait pas hésité à soutenir son collègue mis en examen Dupond-Moretti. Est-ce le signe d’une fragilité sur une procédure qui sent très mauvais pour le gouvernement ? Est-ce le signe d’un frémissement du premier ministre qui pourrait se retrouver lui aussi convoqué à la CJR ? Il faut dire qu’Agnès Buzyn n’a pas la langue dans sa poche : processus volontaire ou pas – on n’en sait rien – elle a donné l’habitude de balancer des gros pavés dans la mare. On peut comprendre la frayeur aujourd’hui, alors que tout le gouvernement rêve de rempiler pour cinq années supplémentaires et de continuer de profiter de la grande vie politique à la française.

C’est donc après neuf heures d’audition que la nouvelle est tombée : Agnès Buzyn est mise sous statut de témoin assisté pour abstention volontaire de combattre un sinistre et mise en examen pour mise en danger de la vie d’autrui, ce qui est par ailleurs bien plus grave.

Plus tôt, jeudi 9 septembre, Me Yassine Bouzrou, avocat de plusieurs victimes, était confiant. Il expliquait que la mise en examen d’Agnès Buzyn s’imposait, compte tenu des éléments qui composaient le dossier de l’ex-ministre. Il avait raison.

Que penser du risque de judiciarisation de la vie politique ? 

C’est Sacha Houlié, le député de la majorité qui s’est lancé sur France Info dans une improvisation assez hasardeuse en mentionnant le sujet : Lorsqu’on est un représentant politique et qu’on commet des fautes dans le cadre de ses fonctions, les premiers juges sont d’abord les électeurs.

Disons au député Houlié, que la justice des électeurs à déjà commencé à faire son œuvre, vu les scores catastrophiques de LREM à toutes les élections depuis les législatives de 2017. Cependant, pour une mise en danger de la vie d’autrui, un simple bulletin dans l’urne n’est pas suffisant. C’est le juge qui doit prendre le relais et c’est d’ailleurs tout à fait normal dans un pays de droit. A ce sujet, il est à noter que le député Houlié n’a formulé aucune plainte de judiciarisation de la vie politique lorsque le parquet de Poitiers a ouvert un enquête sur les individus qui ont incendié sa permanence le mois dernier.

Puis c’est Anne Genetet, député LREM qui est venue formuler ses plaintes sur LCI en disant qu’il ne faudra pas s’étonner si plus personne ne veut se lancer en politique ou devenir ministre. Entendu, on ne s’étonnera pas.

Si on parle de judiciarisation, c’est parce que les affaires judiciaires s’enchaînent chaque semaine, à l’échelle nationale ou locale. Et si les affaires judiciaires s’enchaînent chaque semaine, c’est parce que les personnes qui occupent des postes de pouvoirs sont incompétentes, corrompues ou mal intentionnées.

Houlié devrait plutôt se réjouir, c’est en fonctionnant contre les puissants que la Justice permet de restaurer un peu l’image déplorable qu’ont les détenteurs de privilèges dans ce pays. N’oublions pas que Balkany est sorti de prison en février 2020 pour un état incompatible avec la détention. Son état n’était pourtant pas incompatible avec la danse quelques mois plus tard, pour la fête de la musique.

La judiciarisation de la vie politique est non seulement une conséquence de la dépravation de celles et ceux qui nous gouvernent, mais aussi, dans le même temps, le dernier moyen qu’il reste pour rétablir le désir du citoyen de croire en ce qu’autrefois nous appelions Politique : c’est-à-dire, à la base, un noble dévouement.

Rappelons que l’action collective avec Me Lèguevaques, réclamant des pièces de dossier pour faire la transparence sur la gestion de crise, s’était soldée par un non-lieu du juge, le justifiant par le fait que nous n’avions pas à savoir. Est-ce qu’on rétablit une confiance par de tels procédés ?

Le procès collectif contre la mort

Si les magistrats ont décidé d’une mise en examen, c’est qu’ils estiment que des éléments suffisamment graves sont toujours dissimulés par Mme Buzyn. La mise en examen, qui n’est pas une condamnation mais une procédure judiciaire, entraînera une enquête resserrée autour de l’ex-ministre. Si cette dernière collabore, nous pourrions alors avoir des révélations autour d’Edouard Philippe et Olivier Véran.

(Photo de couverture : Agnès Buzyn, le 10 septembre 2021, AFP)

Une réflexion sur “Agnès Buzyn rattrapée par le temps de la Justice

  • 12 septembre 2021 à 11 h 25 min
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    Excellent article mettant en exergue l’importance de la responsabilité pour rendre efficace la décision… Ne parle-t-on pas de “responsables” politiques?
    A l’instar de Nicolas TALEB, auteur de Skin in the Game, je suis certain que la responsabilité est gage de performance, d’efficacité et surtout évite la répétition des erreurs… (Un commandant de bord qui commet une erreur fatale de pilotage a de fortes probabilités de ne jamais la réitérer…)
    Seules deux espèces échappent à l’évolution Darwinienne: le responsable politique et le haut fonctionnaire (les bureaucrates) en s’émancipant de la responsabilité, de la vertu et de l’équité.
    L’honneur serait à minima d’assumer les conséquences, en partageant les préjudices qu’ils peuvent causer.
    À Rome, si une maison s’effondrait, le maçon qui l’avait construite était mis à mort…

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