La brillante Elisabeth Borne : un mélange de genres et d’échelles
A peine nommée Première Ministre, la polytechnicienne prend sa revanche sur trente ans de domination masculine[1]Cf : le Canard enchaîné du 18 mai 2022. après le passage d’Edith Cresson, qui, pour ceux qui s’en souviennent, avait été subtilement moquée (ou taquinée c’est selon) par les polytechniciens lors du défilé du 14 juillet sur les Champs Elysées[2]Les étudiants avaient placé des feuilles de cresson sur le pommeau de leurs épées d’apparat..
Rescapée d’un drame familial lié à la Shoah, la brillante Elisabeth Borne, ingénieure générale des Ponts-et-Chaussées, a su se hisser rapidement aux postes de direction de cabinets ministériels, d’entreprises publiques (ADOMA/SONACOTRA, SNCF) et privée (Eiffage), de préfectures (Poitou-Charente et Vienne) puis accéder à plusieurs postes de ministre. Bref, le parcours à la fois exemplaire et très classique d’une haute fonctionnaire qu’Emmanuel Macron a choisie comme chef de gouvernement. Une femme brillante donc, et qui a pu conquérir sa place malgré un environnement pas toujours facile. Une personne qui a toutes les aptitudes pour exécuter les directives du Président de la République.
Mais voilà que notre toute récente Première Ministre, une habituée des milieux parisiens, postule au poste de député dans la 6e circonscription du Calvados, en Normandie. Ce choix soulève plusieurs questions. Tout d’abord, quel est le sens de cette décision? Un Premier Ministre n’a pas besoin d’être (ou d’avoir été) élu : il applique les décisions du Chef de l’Etat qui, lui, l’a été. Dominique de Villepin ne pourrait que confirmer. On peut également citer les exemples de feu Raymond Barre, Maurice Couve de Murville et Georges Pompidou qui n’avaient postulé[3]et avaient été élus à ces mandats. à des mandats électoraux qu’après avoir terminé leur fonction de Premier Ministre.
Cette candidature soulève un autre problème, et plus profond cette fois : Mme Borne, qui, en tant que chef du gouvernement, occupe un poste élevé au sein du pouvoir exécutif, en candidatant pour un siège de Député, vise une fonction au sein du pouvoir législatif. Au moment où cet article est en train d’être publié, on peut raisonnablement se questionner : sur quel pied danse Elisabeth Borne? On a envie de lui demander : Madame, pour quel pouvoir travaillez-vous en ce moment? Vos efforts se tendent-ils vers l’organisation exécutive des affaires publiques de la France, ou bien se tournent-ils vers l’élaboration des lois qui encadrent la vie des Français? Choisissez-vous l’exécutif ou le législatif?
Enfin, une question de géographie se pose également : en tant que Première Ministre, Elisabeth Borne travaille pour l’ensemble du territoire français : sa métropole, ses territoires d’outre-mer et son plateau continental. Ce dernier se place comme le plus grand du monde avec plus de 11,6 millions de km² : du boulot tant en matière de défense, d’industrie et de tourisme que d’environnement pour notre chef de gouvernement! Mais Mme Borne postule également pour un mandat législatif au sein d’une circonscription qui s’étend sur…1590 km². Nous ne sommes donc pas tout à fait sur la même échelle, n’est-ce pas? Le premier territoire est juste plus de 7200 fois plus grand que le second. Cela représente, pour rester dans l’image de la danse, un sacré grand-écart!
Une question de fond émerge donc des remous de la Politique française : que veut Elisabeth Borne?
(Photo de couverture : Aron Urb . )
Références
Bonjour, Bertrand!
Comme toujours, j’admire votre facilité à détecter des questions sous-jacentes aux diverses décisions politiques soulevées (dont l’exécutif ou le législatif?). Merci de cette perspicacité.
Bonjour Prith! Merci pour votre commentaire. L’organisation politique de notre pays nous permet de nous exprimer et ainsi de mettre le doigt sur des situations embarrassantes potentielles. Pour le développement de notre démocratie, il est vital de montrer notre attachement à la séparation des pouvoirs.