Louis XIV, le Corona et la BCE (4/7) : centralisation, concentration et vulnérabilité socio-économique

Du point de vue social, la concentration de ménages pauvres, d’abord dans le centre parisien puis vers les quartiers HLM de banlieues, a souvent été la source de remous socio-politiques que ce soit lors de révoltes comme en 1660 et 1661 ou des révolutions de 1789 ou de 1848 – les mauvaises récoltes ayant également joué un rôle dans l’instabilité sociale[1]LEROY-LADURIE Emmanuel, Histoire humaine et comparée du climat – Disettes et révolutions 1740-1860, Paris, Fayard, 2006, p143-147 – ou lors des émeutes (péri)urbaines de 2005 qui ont démarré à Clichy-sous-Bois. La déflagration de ces révoltes franciliennes s’est répandue sur l’ensemble des agglomérations de l’hexagone. Mais en 2015, 45% de la population [clichoise] [vivait] toujours en-dessous du seuil de pauvreté et plus d’un jeune sur trois [pointait] au chômage[2]CARMARANS Christophe, Il y a dix ans, les banlieues s’embrasaient dans toute la France, le 27 octobre 2015, [Consulté le 08/04/2020], disponible sur : http://www.rfi.fr/fr/france/20151026-emeutes-clichy-banlieues-zyed-bouna-2005-chirac-sarkozy-police-bondy-93.

Si la densité des quartiers populaires est passée de plusieurs dizaines de milliers d’habitants à moins de dix mille par km² via son transfert vers les périphéries urbaines, on retrouve le même problème de la concentration des difficultés socio-économiques, malgré les débuts prometteurs des Grands Ensembles : dans les années 1960, le pourcentage de cadres dans les quartiers HLM était supérieur à la moyenne nationale et le revenu moyen des ménages étaient supérieur de 40% à cette même moyenne. Toutefois, du fait que ces familles étaient plus nombreuses (faut-il y voir une influence de revenus corrects ainsi que celle de la taille des logements HLM, plus grands que les autres?), le revenu par personne était ramené à 7% au-dessus de la normale française[3]MERLIN Pierre, Les grands ensembles, Paris, La Documentation française, 2010, p 69. Puis, progressivement, cet écart a diminué avec l’arrivée de familles ouvrières immigrées et pauvres. La courbe s’est finalement inversée avec l’apparition du chômage de masse, conséquence des crises de 1974 et 1979[4]de FOUCAULD Bertrand, Développement durable et gouvernance du logement social, thèse de doctorat : Espaces, sociétés et aménagement : Paris : Université Paris IV – Sorbonne, Paris, 2013, p32. A titre de rappel, la brusque montée des prix du pétrole en 1974 n’est pas vraiment la cause de la crise économique mais plutôt une de ses manifestations. La raison probable de ces deux crises économiques, dans les années 1970, réside dans la baisse des investissements productifs vers la fin des années 1960

Aujourd’hui, la situation socio-économique est étroitement liée à celle du Corona. Par exemple, à Aulnay-sous-Bois ou Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, on retrouve un regain de tension entre des bandes de jeunes, revendiquant leur liberté de circuler au sein de leur quartier, et la Police qui doit essayer de faire appliquer le confinement tout en évitant de déclencher une émeute[5]VILLAMY Olivia, “Clichy-sous-Bois : tensions avec la police au 5e jour de confinement” in Le Parisien, le 22 mars 2020. [Consulté le 29 avril 2020], disponible sur : http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/clichy-sous-bois-tensions-avec-la-police-au-5e-jour-de-confinement-22-03-2020-8285241.php. Voir également : REVENU Nathalie, “Coronavirus en Seine-Saint-Denis : un nombre record d’amendes, police et justice durcissent le ton” in Le Parisien, le 22 mars 2020. [Consulté le 29 avril 2020], disponible sur : http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/coronavirus-en-seine-saint-denis-un-nombre-record-d-amendes-police-et-justice-durcissent-le-ton-19-03-2020-8284008.php. Le nombre de personnes par ménage est supérieure à la moyenne française ce qui veut dire que la population séquano-dionysienne est jeune : l’indice conjoncturel de fécondité[6]L’indicateur conjoncturel de fécondité, ou somme des naissances réduites, mesure le nombre d’enfants qu’aurait une femme tout au long de sa vie, si les taux de fécondité observés l’année considérée à chaque âge demeuraient inchangés. INSEE, Définition – Indicateur conjoncturel de fécondité, ou somme des naissances réduites, le 13 octobre 2016. [Consulté le 29 avril 2020], disponible sur : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1963 en Seine-Saint-Denis, en 2014, était de 2,50 pour une moyenne de 2,04 en Ile-de-France et 1,98 en France métropolitaine[7]BOUSSAD Nasia, COULEAUD Nathalie, Démographie de l’Ile-de-France en 2015, le 17 janvier 2017, INSEE. [Consulté le 29 avril 2020], disponible sur : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2555753#titre-bloc-5. Donc, le confinement dans les logements, au sein des Grands Ensembles en proie à de fortes difficultés socio-économiques, se fait encore plus ressentir, malgré la taille des appartements plutôt spacieux par rapport à ceux situés dans les centre-villes bourgeois et appartenant généralement au secteur marchand. De plus, dans ce département, résident de nombreux actifs dont la présence sur leur lieu de travail est indispensable au fonctionnement quotidien de l’Ile-de-France, à commencer par les chauffeurs-livreurs (les anglophones parlent de travailleurs-clé ou key-workers). Ces actifs sont donc obligés de quitter leur domicile, ce qui participe à augmenter le risque de diffusion du virus, même en prenant des précautions. Raison de plus pour leur donner toutes les aides nécessaires afin qu’ils puissent effectuer leur devoir dans des conditions les plus sûres possibles. A eux, également, de porter masques et gants lorsqu’ils sont en contact soit avec l’objet à produire ou à délivrer soit avec la clientèle.

Bibliographie supplémentaire [8]BÉLY Lucien, La France moderne. 1498-1789, Paris, PUF, 2003 [9]GARNOT Benoît, La population française : aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Ophrys, 2005. [10]LAROUSSE, Guerre de la succession d’Espagne, [Consulté le 08/04/2020], disponible sur : https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/guerre_de_la_Succession_dEspagne/145407 [11]HERODOTE, 1702-1713 – Guerre de la Succession d’Espagne, le 18/12/04. [Consulté le 08/04/2020], disponible sur : https://www.herodote.net/Guerre_de_la_Succession_d_Espagne-synthese-84.php [12]REINHARD Marcel, “La population française au XVIIe siècle” in Population, 1958, p 619-630, [Consulté le 08/04/2020], disponible sur : https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1958_num_13_4_5734 [13]CARMONA Michel, Haussman, Paris, Fayard, 2000, 647p [14]GRAFMEYER Yves, Sociologie urbaine, S.l., Armand Colin, 2005, 128 p

Références[+]

2 réflexions sur “Louis XIV, le Corona et la BCE (4/7) : centralisation, concentration et vulnérabilité socio-économique

  • 1 mai 2020 à 17 h 47 min
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    Bonjour Marc, merci pour ton commentaire! tu continues ensuite, toujours en citant Céline : “Banlieue de hargne toujours vaguement mijotante d’une espèce de révolution que personne ne pousse ni n’achève, malade à mourir toujours et ne mourant pas…”
    Cette remarque est très intéressante car elle touche Jouy-en-Josas à plusieurs égards : tout d’abord, parce que cette petite ville (8200 hab) fait partie de l’agglomération parisienne. Ensuite, parce qu’elle s’intègre également dans la zone d’influence de Versailles qui est, en quelque sorte, “une ville de province située en Ile-de-France”. On peut voir cela dans les relations politiques proches entre Jouy et la Préfecture des Yvelines et les accords territoriaux (sauf carte scolaire), avec cette impression de subordination, la petite commune servant de marche-pied pour aller à la grande. Enfin, c’est un point important, la vocation de la banlieue (un terme du Moyen-Age où les villes étaient souvent protégées par des murailles, comme à Paris) est de rentrer dans la ville. La périphérie devient centre. Cette loi s’applique à toutes les échelles : Jouy-en-Josas, d’un village campagnard du temps d’Oberkampf, fait partie aujourd’hui d’une agglomération de plus de 12 millions d’habitants. De même, à la dimension inter-continentale, la très lointaine périphérie de l’empire britannique au XIXe siècle, dont le cœur était à Londres, est devenue le centre du monde, à la fin du XXe : je veux parler de la Californie (San Francisco, Los Angeles) dont les fameux GAFA, à eux seuls, en 2019, à titre de comparaison, représentaient plus de la moitié de la capitalisation du CAC40.
    Raison de plus pour veiller aux banlieues : c’est là que se situe, probablement, l’avenir.

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  • 30 avril 2020 à 9 h 23 min
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    Comme l’écrivait Céline: “la banlieue est le paillasson sur lequel on s’essuie les pieds avant d’entrer à Paris”

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