INSTITUT DU FILM & DE LA TÉLÉVISION DE L’INDE : une école d’excellence qui doit rester publique
Par Baidy DIA, producteur – réalisateur et ancien étudiant à l’Institut du Film et de la Télévision de l’Inde à Pune (Inde).
L’Institut du Film et de la Télévision de l’Inde (FTII) est basé à Poona, appelée maintenant Pune, une ville de près de quatre millions d’habitants, située à environ cent cinquante kilomètres de Bombay, appelée aujourd’hui Mumbai.
Récemment, l’institut a été classé, par le magazine VARIETY des États-Unis, parmi les plus importantes écoles de cinéma au monde. Je ne peux que m’en féliciter et le confirmer, pour avoir, moi-même, été formé à cette école, par d’éminents professeurs, en réalisation cinématographique.
En effet, alors que les écoles de cinéma en Europe et, même aux États-Unis enseignaient les formats 9 mm et 16 mm, l’école de Pune pratiquait déjà le 35 mm qui est le format professionnel dans l’industrie du cinéma. C’est dire la longueur d’avance que cette école a eue, sur ses concurrentes. D’ailleurs, rien que ça aurait dû la placer en tête des meilleures.
Bien sûr, de nos jours, ces formats semi-professionnels voire amateurs ne sont pratiquement plus d’usage et ce depuis l’avènement de la vidéo, surtout de la vidéo haute définition.
Les acteurs et actrices indiens formés à la très célèbre “Method Acting” du très grand dramaturge russe, Constantin Stanislavski, ont su non seulement se l’approprier, mais, surtout, ont réussi à l’adapter au contexte culturel indien. Cette démarche judicieuse a été le fait du très talentueux Professeur Shri Roshan Taneja, un homme très discret, mais redoutablement efficace, dans la formation de ses étudiants en Actorat. Pour s’en convaincre, il faut voir le nombre incalculable d’acteurs et d’actrices indiens, et même étrangers, qu’il forme, chaque année à l’institut.
D’ailleurs, une fois, il m’a dit : « Baidy, on a un show musical à faire en ville et j’aimerai te voir y participer ». J’en étais tellement flatté que je lui ai répondu oui tout de suite. Pourtant, je n’étais pas un de ses étudiants, puisque j’étais en Réalisation, mais il m’a choisi quand même. Alors, il m’a dit : « Voici une chanson en hindi et je sais que tu manies bien notre langue… Je voudrais que tu en fasses la répétition avec cette fille et vous allez l’interpréter le jour du spectacle ». La jeune fille du nom d’Uliana, une jeune blonde bulgare était une de ses élèves. À l’occasion des grandes fêtes et des célébrations importantes, il m’arrivait de monter sur la scène du théâtre de l’institut et de déclamer des poèmes ou de jouer des sketches souvent en langue hindi. M’ayant vu plusieurs fois sur scène, il a dû se dire que je pourrai faire justice au rôle qu’il venait de me confier. Après plusieurs répétitions, Uliana et moi avons interprété ce dernier, dans un théâtre de la ville plein à craquer, et devant un public pratiquement médusé. Les applaudissements fusaient de partout.
C’est dire le talent incontestable du Professeur Shri Roshan Taneja, un homme qui a su stimuler chez l’acteur, les ressources et les potentialités internes, mais insoupçonnées, pour qu’il les exprime de la façon la plus convaincante, lorsque la situation le demande. Et quand l’acteur s’accorde à ses directives, le résultat est spectaculaire.
Voilà pourquoi il est devenu le gourou indien de l’actorat que le tout Bollywood salue avec beaucoup de respect.
Historiquement, même si l’on sait que l’Institut tire son origine des fameux Studios Prabhat de Poona, que le gouvernement de New Delhi a racheté au grand Producteur et Réalisateur V. Shantaram – à qui, d’ailleurs, l’on doit, plusieurs classiques, du cinéma indien – il n’en demeure pas moins que ce leg, à lui seul, ne peut justifier l’excellence et la réputation que connaît cette école, depuis plusieurs décennies, s’il n’y avait pas un cursus professionnel de qualité, une infrastructure solide, un esprit de famille, des professeurs hautement qualifiés et surtout de grande probité morale. J’insiste sur cet aspect, car il me semble important. La probité doit faire partie intégrante d’une bonne éducation puisque les étudiants, d’une manière générale, fonctionnent beaucoup à l’image de leurs professeurs.
Mais, hormis cela, il est aussi important de souligner le rôle éminemment majeur qu’a joué et continue de jouer l’Institut, dans l’évolution et la pérennité du cinéma indien, communément appelé Bollywood. Ainsi, cette école continue encore, aujourd’hui, de servir de relais et de courroie de transmission entre le cinéma et la télévision, en fournissant de manière régulière, des artistes et des techniciens de talent. Aujourd’hui, avec plus de mille films de longs-métrages produits par année, Bollywood est passé devant Hollywood et l’a même laissé loin derrière.
Si on y ajoute les quelques huit cent (800) chaînes indiennes de télévision, on comprend bien le rôle important que joue l’Institut pour la création d’emplois dans le secteur audiovisuel de l’Inde.
D’ailleurs, nombre de studios à Mumbai et à Chennai envoient régulièrement leurs techniciens et artistes à l’Institut, pour un recyclage, sous forme de stages de courtes durées.
Il n’est point exagéré de souligner l’importance que revêt cette prestigieuse école de cinéma, même si, aujourd’hui, de nouvelles écoles audiovisuelles ont vu le jour dans le pays.
Implanté dans la ville de Poona, un des grands centres universitaires et urbains du pays, l’Institut est situé non loin du lieu de naissance, du père du cinéma indien, Dadasaheb Phalke, auteur du film Raja Harishchandra, un autre classique du cinéma indien. A cet égard, l’Institut a mis en place un trophée appelé Prix Dadasaheb Phalke qui récompense chaque année les cinéastes qui se sont distingués dans leurs différents corps de métiers.
Ainsi, l’Institut, en disposant d’archives de films parmi les plus importantes du pays, a aussi conforté cette primauté, en donnant l’occasion aux étudiants d’être mieux exposés aux classiques du cinéma mondial. Nous parlons d’une époque où l’Inde socialiste était quand même assez fermée sur elle-même avec très peu d’ouverture sur le monde occidental. On était bien loin de l’époque d’internet et des smartphones.
La liste est incalculable des réalisateurs indiens et étrangers, des acteurs et actrices et autres techniciens qui ont été formés à cet Institut et dont certains ont même remporté de grands prix dans plusieurs festivals, aussi bien en l’Inde qu’à l’étranger.
D’autre-part, vu le rôle de plus en plus accru que joue l’informatique, dans le cinéma et la place prépondérante qu’occupe l’Inde, dans ce domaine, Il ne serait pas étonnant de voir un rapprochement entre la Silicon Valley indienne de Bangalore avec l’Institut, pour une collaboration encore plus accrue en vue d’apporter une touche nouvelle dans la technique cinématographique en perpétuelle évolution.
Si Bollywood a réussi aujourd’hui ce pari, en se hissant à la première place mondiale devant Hollywood, c’est parce que dans une très large mesure, l’Institut a su être le creuset et le pourvoyeur de talents sans lesquels Bollywood n’aurait jamais pu occuper cette place prépondérante pendant si longtemps, d’où la nécessité de soutenir cette école, pour le rôle social extrêmement important qu’elle joue à cet égard.
Pour conclure, bien qu’il y ait un réel motif de satisfaction de savoir que des magazines aussi prestigieux comme Variety placent l’Institut du Film et de la Télévision de Pune, en Inde, parmi les plus grandes écoles de cinéma au monde, il n’en demeure pas moins important de souligner que des efforts accrus doivent être faits pour que l’Institut puisse continuer de remplir davantage sa fonction sociale d’école d’excellence, mais aussi celle de pourvoyeuse d’emplois et de talents dont Bollywood et les chaînes de télévision indienne ont de plus en plus besoin. Des rumeurs de privatisation de l’institut circulent, mais privatiser l’Institut serait une catastrophe car les coûts de formation seraient exorbitants et ne seraient plus à la portée des familles indiennes à revenus modestes.
Voilà pourquoi le gouvernement de New Delhi se doit de soutenir cet institut, non seulement pour les milliers d’emplois qu’il procure dans les nombreuses filières du cinéma et de la télévision, mais surtout pour lui permettre de maintenir sa position de leader d’un cinéma mondial alternatif.
Paris, Août 2018
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