Rurbanisation : l’exemple de Metz (2/2)
Dans ce mécanisme d’embourgeoisement progressif des villages situés autour des principales agglomérations française, dont Metz, ces territoires rurbains révèlent leurs richesses mais aussi les risques potentiels, à l’échelle locale ou régionale, inhérents à ce nouveau type d’aménagement. Alors, face à cet engouement de la ville à la campagne – une réminiscence du jardin d’Éden ? – comment aborder la question?
(Photo de couverture : maisons modernes installées le long de l’axe est-ouest (de gauche à droite sur l’image) : la D3a, respectivement rue du Queulot et rue de Villers-l’Orme dans le village de Failly, à l’est de Metz. Ce développement rurbain, essentiellement habité par des ménages travaillant dans l’agglomération messine, progresse le long de la vallée tout en restant à quelques distances du cours d’eau. BdF, le 24 août 2019, depuis l’ancien tracé de la ligne de chemin fer allemande).
Quelles pistes de solutions?
Que faut-il faire? Faut-il augmenter la densification des zones déjà urbanisées des métropoles? Mais dans ce cas-là, comment répondre aux souhaits de nombreux ménages de posséder une maison avec jardin : les obliger à se parquer dans des quartiers où ils n’auraient pas voulu s’installer et donc entraîner des tensions quotidiennes dans une zone déjà densément peuplée par rapport à une zone rurale? Et dans ce cas-là, est-ce que ce type d’obligation serait compatible avec notre cadre juridique démocratique? Est-ce qu’un jeune ménage de cadres voudra forcément s’installer dans le quartier de Borny? Rappelons que ce dernier fut classé en zone d’éducation prioritaire en 1982 et une partie de ce territoire, le plateau des Hauts de Blémont, déclaré Zone Urbaine Sensible en 1996[1]Souvent, lorsqu’un quartier ou partie de quartier est déclaré en zone d’éducation prioritaire, le premier réflexe des parents qui le peuvent est justement faire changer d’école leurs enfants. Ainsi, ce qui se voulait être une aide publique à un territoire donné se révèle être une discrimination publique et un encouragement – involontaire? – à concentrer les ménages en difficulté socio-économique et à faire fuir les classes moyennes.
Pourtant lors de sa création en 1960, l’architecte Jean Dubuisson, se présentant comme un des disciples de Le Corbusier[2]MERLIN Pierre, Les grands ensembles, Paris, La Documentation française, 2010, p59 et influencé par les idées de la Charte d’Athènes[3]Cette charte, publiée en 1941 par Charles-Edouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier, repose essentiellement sur la notion de fonctionalisme, c’est-à-dire que l’espace doit être réparti selon quatre fonctions majeures : habiter, travailler, circuler et se divertir (se recréer le corps et l’esprit). Le logement est fourni par les cités HLM (Borny en l’occurence), le travail proposé par les zones industrielles (usine Citroën installée dans le même quartier en 1968), la circulation grâce aux (auto)routes urbaines (promulguées par Pompidou) [devenues] dominantes [4]MERLIN Pierre, Les grands ensembles, Paris, La Documentation française, 2010, p59, avait construit, comme pour la plupart des nouveaux grands ensembles HLM français, des logements avec un haut niveau de confort possédant le chauffage central, l’eau chaude, une salle de bain et des toilettes (uniquement 2% de toutes les habitations en France avaient de type confort en 1945). De même, le pourcentage de cadres dans ces quartiers nouveaux, dans les années 1950 et 1960, était supérieur à la moyenne nationale. A Borny, y compris au début des années 1970, des actifs des classes moyennes, et notamment des enseignants, se sont installés…avant de finalement quitter le quartier, sans être remplacés par d’autres membres de la même catégorie socio-professionnelle.
Faut-il encourager les jeunes ménages à ne s’installer que dans les zones rurales qui entourent la métropole, à l’instar de ceux qui ont acquis leurs habitations dans les villages de Nouilly ou Failly, à l’est de Metz? Mais dans ce cas-là, d’autres défis entrent en ligne de compte comme vu dans la première partie de cet article[5]de FOUCAULD Bertrand, L’agglomération de Metz : pourquoi tant d’atouts si peu exploités, le 13 août 2019. Disponible sur : https://contrib.city/index.php/2019/08/13/lagglomeration-de-metz-pourquoi-tant-datouts-si-peu-exploites/. : la pollution, les risque d’inondation mais aussi la diminution des terres arables pouvant poser, à terme, la question de l’auto-suffisance alimentaire.
La croissance économique permet de faire vivre un territoire malgré les défis socio-politiques (les inégalités de croissance entre les territoires) et environnementaux qu’elle apporte également. Certains intellectuels ont proposé de tendre non plus vers une augmentation de la production économique mais au contraire de viser un équilibre stable, une croissance zéro[6]rapport Meadows ou “Halte à la croissance” (traduction française) publié en 1971. Mais à ce courant de pensée, je pose la question : qui paye? Les manifestations nationales des gilets jaunes en 2019, quelque fois d’une violence comparable à celle d’une émeute ou d’une insurrection, ont montré que les territoires – en l’occurrence les zones oubliées, c’est-à-dire péri-urbaines ou rurales, lorsqu’ils déclinaient, engendraient de la misère. Un ralentissement de la production industrielle et tertiaire entraîne du chômage et donc une diminution des revenus tant privés que publics (impôts). Du coup, la population locale, pour les ménages qui le peuvent, va chercher à quitter cette zone oubliée pour s’installer à proximité de la métropole de la région, comme Metz, voire à déménager en Ile-de-France.
Une solution classique consiste plutôt à informer et accompagner les ménages dans leur décisions relatives à leur parcours résidentiels. Que ce soit un couple qui décide de lancer une famille en zone péri-urbaine ou rurbaine, un étudiant qui part étudier en centre-ville ou bien de jeunes retraités qui décident de partir à la campagne ou encore une veuve âgée qui déménage dans une maison de retraite en zone urbaine, les collectivités locales, notamment dans un régime démocratique, ont intérêt à comprendre et à essayer de prévoir, ou tout du moins accompagner, les besoins et les rêves de leurs habitants dont leurs électeurs. Par exemple, la population de la métropole de Metz a diminué de 1,8% entre 2006 et 2011 selon Metz-Métropole et de 0,3% par an entre 2010 et 2015 selon l’INSEE. Le manque de logements n’est pas la cause première de cette baisse démographique car leur taux d’occupation a baissé. Ce n’est pas vraiment non plus la coût de l’habitat en centre-ville : si des communes comme Nouilly ont vu leur population augmenter de 6,5% annuellement sur la période 2010-2015, celle de Châtel Saint-Germain a vu la sienne diminuer de 4,4% annuellement.
Parallèlement, comme indiqué dans l’article sur la ville de Metz[7]de FOUCAULD Bertrand, L’agglomération de Metz : pourquoi tant d’atouts si peu exploités, le 13 août 2019. Disponible sur : https://contrib.city/index.php/2019/08/13/lagglomeration-de-metz-pourquoi-tant-datouts-si-peu-exploites/, le PIB non pas de la métropole de Metz mais celui de la région Grand Est tout entière représentait en 2015 uniquement 7% de la richesse nationale, à comparer avec les 30% de la région parisienne. Ce pourcentage francilien était de 20% vers 2010. La part de la principale métropole française continue donc à croître et à “englober” les activités des autres capitales régionales. Cette hyper-centralisation à la Louis XIV n’est pas sans poser d’énormes questions sociales et environnementales.
Comme déjà indiqué dans mon précédent article sur Jouy-en-Josas, en Ile-de-France[8]de FOUCAULD Bertrand, Risques et atouts de Jouy-en-Josas (Ile-de-France), le 2 juillet 2019. Disponible sur : https://contrib.city/index.php/2019/07/02/potentiels-vulnerabilite-jouy-en-josas/, la séparation des pouvoirs économiques et politiques, dans deux métropoles différentes, participerait à équilibrer les tensions issues des demandes des habitants (péri)urbains et ruraux, non seulement à l’échelle régionale comme à Metz, mais également à celle de l’hexagone et de l’Europe. Favoriser le développement économique de Metz permettrait aux Messins de rester dans leur région et leur lieu de résidence, que ce dernier soit en ville, en banlieue ou à la campagne, et de ne pas se retrouver obligés de quitter les coteaux et rivières de leur joli pays [9]Au sens local du terme, c’est-à-dire un espace de vie homogène qui peut, en plus de l’échelle nationale, s’appliquer à une région voire à une commune. On parle ainsi du Pays de Metz, qui correspond, grosso modo, à l’arrondissement de Metz résultant lui-même de la fusion des anciens arrondissements de Metz-ville et Metz-Campagne. Sources : BAUD Pascal, BOURGEAT Serge et BRAS Catherine, Dictionnaire de géographie, Paris, Hatier, 2003, p 141 et JOURNAL OFFICIEL, Décret n°2014-1721 du 29 décembre 2014, le 31 décembre 2014 (version consolidée au 19 février 2015) pour aller s’entasser dans des logements minuscules ou bien dans des trains franciliens bondés, sans compter les jours de grève[10]A titre de rappel, la ligne du RER A est la plus saturée au monde et la dernière grève, à la publication de cet article, datait seulement de trois jours.
Bibliographie supplémentaire[11]Pierre, “Ma croisière en bateau solaire sur la Moselle à Metz” in Mon Grand-Est, [vu le 16 septembre 2019]. Disponible sur : https://mon-grand-est.fr/bateau-solaire-sur-la-moselle-metz/ [12]GITES DE FRANCE-LORRAINE, Le Pays de Metz, [vu le 16 septembre 2019]. Disponible sur : https://www.gites-de-france-lorraine.fr/fr/thematique/58885a4619f00-le-pays-de-metz?capacity=1&frontend=1&campaign=178&per_page=12&page=1 [13]INSEE, Arrondissement de Metz (579), [vu le 16 septembre 2019]. Disponible sur : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/cog/arrondissement/ARR579-Metz
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Références