Transports pendants les grèves : des demi-décisions.
Aujourd’hui, la présidente de la région Ile-de-France s’est décidée à rajouter 220 bus pour essayer de répondre aux galères des Franciliens[1]TOUSCH Arnaud, Grève : la région Ile-de-France affrète 220 bus privés pour transporter les Franciliens”, RTL, le 11 décembre 2019, 5h00. [Consulté le 11 décembre 2019]. Disponible sur : https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/greve-la-region-ile-de-france-affrete-220-bus-prives-pour-transporter-les-franciliens-7799665355. Peut-être est-ce en réaction aux plus de 600 km de bouchon observés lundi 9 décembre, en région Parisienne? Mais une fois de plus, la réponse apportée est tardive, très insuffisante, peu écologique et sous-exploite l’ensemble des dispositifs techniques qui existent aujourd’hui en France, à l’inverse de la grève de 1995 où Internet, et encore moins les applications sur téléphones portables, n’avaient pas encore – ou peu – touché le grand public.
Quelle est la cause fondamentale de ces perturbations : la grève des transports? A cette question, je réponds par une autre : pourquoi est-ce que cette grève nous touche plus que les autres? Je me souviens, voici quelques années, les médias avait annoncé que les employés du parc d’attraction de Dysneyland Paris se mettaient en grève. Cela avait retenu l’attention des élus et des habitants : un des premiers points touristiques franciliens, et même français, allait cesser de travailler. Effectivement la grève eut bien lieu et elle dura…une nuit[2]Pont Charlotte, Disneyland Paris : grève de 90 techniciens de nuit, France 3 Paris Ile-de-France, le 25 février 2015, [consulté le 11 décembre 2019]. Disponible sur : https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/seine-et-marne/disneyland-paris-greve-de-90-techniciens-de-nuit-662413.html. En fait, depuis la grève de 300 salariés (sur 13.000), en 1998, et qui avait duré 17 jours, du mercredi 24 juin au vendredi 10 juillet, il semble que les grèves soient plus courtes chez Eurodisney et donc que les accords arrivent plus vite. Voir aussi : Les Echos, A Disneyland Paris, les Mickey restent en grève, le 6 juillet 1998, [consulté le 11 décembre 2019]. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/1998/07/a-disneyland-paris-les-mickey-restent-en-greve-795296. Les Echos, Les animateurs à Disneyland Paris suspendent leur grève, le 13 juillet 1998, [consulté le 11 décembre 2019]. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/1998/07/les-animateurs-a-disneyland-paris-suspendent-leur-greve-795672. http://www.leparisien.fr/economie/treizieme-jour-de-greve-chez-mickey-06-07-1998-2000147113.php. L’arrêt de travail du 30 mars 2012 avait duré deux (?) jours, les 30 et 31 mars. Cf : MOUILLARD Sylvain, Grève à Disneyland : “Pas besoin d’être énormément pour bloquer un parc!” in Libération, le 30 mars 2012. Pourquoi fut-elle réglée aussi rapidement? tout d’abord, il s’agissait d’argent privé et tous les acteurs, afin de garder leurs revenus et leurs postes, avaient intérêt à ce que ce conflit soit résolu le plus rapidement possible. Car dans ce processus de résolution de crise, fondamentalement parlant, un équilibre des forces existait : d’un côté les employés situés en bas de la hiérarchie (à titre de rappel, les PDG des multinationales sont également des salariés) peuvent user du droit de grève mais de l’autre, ils perdent le revenu des jours durant lesquels il ne travaillent pas. Enfin, leur action est à double-tranchant : ils mettent leurs patrons “sous pression” en bloquant l’outil de travail mais, sans le vouloir, ils peuvent aussi condamner leur site local et donc leurs emplois. C’est donc dans cette “balance sociale” – à l’intérieur de laquelle, bien sûr, des réglages peuvent être effectués en fonction des progrès technologiques puis politiques – que s’opèrent les négociations.
En 1995, puis aujourd’hui, avec les entreprises publiques de transport, la donne n’est pas la même qu’à Disneyland : les employés des transport, de par leur statut, ont un emploi protégé (dans la vaste majorité des cas), officiellement ou officieusement [3]pour mesurer cela, il n’y a qu’à compter le nombre de plans sociaux effectués dans chacune de ces entreprises publiques de transport. Ensuite, en cas de perte financière pour les employés en bas de la hiérarchie, ces dernières sont étalées dans le temps. En ce qui concerne les principaux responsables techniques (SNCF, RATP), les pertes seront épongées par le déficit public [4]3 à 4 fois le PIB si l’on prend en compte l’ensemble des engagements de l’Etat comme par exemple la retraite des fonctionnaires ou la Sécurité Sociale, problème solutionné à court terme grâce aux taux d’intérêt négatifs ou quasi nuls. Mais gare à la secousse si ces taux devaient augmenter à nouveau ou si cette politique monétaire européenne devait amener une situation encore plus difficile!
Alors, vis-à-vis, de ces grèves des transports en commun, quelles sont les solutions? Je vois deux pistes : la première peut être prise en 24 heures, demandera un peu de courage politique au début, protègera l’environnement et permettra aux ménages non seulement d’économiser de l’argent mais également d’en gagner plus!; la deuxième solution consisterait à appliquer un véritable service minimum.
Plus concrètement, sur le plan logistique, Valérie Pécresse, Présidente de la Région Ile-de-France, devrait obliger tout véhicule de tourisme (particulier comme de fonction, à part les ambulances et les engins de lutte contre l’incendie) circulant dans la première couronne parisienne, de transporter au moins deux passagers. Les applications du co-voiturage rendent cela parfaitement possible. Les routes seraient alors fluides, permettraient aux voitures, bus et cars privés de se rendre à destination dans un temps raisonnable. Les ménages n’auraient plus besoin de gaspiller de l’essence, de respirer des polluants, de perdre quelque fois plus de quatre heures par jour dans les bouchons et de manquer des heures d’emploi. Ces nouvelles formes de transport pourraient même permettre de créer des liens sociaux : les passagers, dans une ambiance un peu festive, parleraient de la grève, des aides locales qu’ils apporteraient et entreraient dans une dynamique sociétale.
Du point de vue de l’organisation du travail, Michel Godet, professeur émérite d’économie, fonctionnaire, apportait déjà en 2007 deux solutions concrètes : soit une personne a son emploi protégé mais, en contre-partie, elle doit assurer un service minimum, surtout si ce dernier est vital pour la vie de la région et/ou du pays[5]S’il y a service public, c’est le client citoyen qui doit être prioritaire : le service minimum est la contre-partie naturelle du monopole de service public.[…] Les conséquences économiques et sociales des grèves des monopoles de service public sont démesurées par rapport à des revendications souvent catégorielles. GODET Michel, Le courage du bon sens : pour construire l’avenir autrement, Paris, Odile Jacob, 2007, p 233; soit son emploi est soumis au droit du travail classique et le droit de grève est un droit fondamental qu’elle peut utiliser si elle estime qu’une situation de crise le justifie. Dans le deuxième cas, je rappelle, l’employé de base comme son patron auront tous les deux intérêt à ce que la crise soit résolue le plus rapidement possible, sous peine de mettre en péril leur moyen de production.
Mais que les syndicats français, qui enregistraient en 2016 entre 8 et 11% d’adhérents au sein de la population active, contre 50% en 1947[6]Si en 1947, un actif français sur deux était syndiqué, ce taux a chuté jusqu’en 1958, puis de 1975 à aujourd’hui. Formant une sorte de cartel interdisant l’arrivée de nouveaux syndicats, les organisations syndicales, en 2008, ont obtenu la légalisation du financement des syndicats par les entreprises et les pouvoirs publics. La disparition d’un syndicalisme vivant, celui des multiples cellules d’adhérents dans les entreprises et les territoires, est la cause principale du divorce avec une bonne partie de la population et, chez les jeunes, d’un a-syndicalisme. ANDOLFATTO Dominique (Credespo, Université de Bourgogne), LABBE Dominique (PACTE, Université Grenoble Alpes), Combien de syndiqués en France?, 11 juin 2019, Institut supérieur du travail, [consulté le 11/12/2019]. Disponible sur : http://www.istravail.com/actualites-etudes/les-etudes-sociales-et-syndicales/11226-combien-de-syndiqu%C3%A9s-en-france.html . Par contre, un des défis qui attend déjà l’organisation du travail en France, en Europe et à l’international, est la protection sociale des actifs, plus ou moins “indépendants”, qui travaillent pour les applications mobiles de livraisons. Cf: BUSINESS DAILY, Why Americans are loving trade unions again? (Pourquoi les Américains aiment-ils à nouveau les syndicats?), le 22 novembre 2019. [consulté le 25 novembre 2019]. Disponible sur : https://www.bbc.co.uk/programmes/w3csy6zl, se rassurent : le gouvernement est déjà en train de remettre “à plus tard” les réformes que nos voisins européens ont déjà réalisées voici plusieurs années. Comme d’habitude, la France attendra d’avoir heurté le mur des réalités économiques (déficit public) et démographiques (vieillissement de la population) pour entreprendre, trop tard, ses réformes.
(Photo de couverture rééditée : bouchons sur la A86/N12 en direction de Versailles. Photo prise près de l’entrée du duplex A86. BdF, le 12 décembre 2019, 9h00. Malgré l’heure tardive, les voies routières près de la préfecture sont encore très chargées. En Ile-de-France, les encombrements ont atteints 475 km à 8h30 ce matin).
Bibliographie supplémentaire[7]ARBON Jean-Pierre, La non garantie voyage, le 11 décembre 2019, [consulté le 11 décembre 2019]. Disponible sur : https://arbon.website/la-non-garantie-voyage/[8]Europe1, Grève SNCF : nos solutions pour se rendre au travail malgré les suppressions de train, le 21 mars 2018, [consulté le 11 décembre 2019]. Disponible sur : https://www.europe1.fr/societe/greve-sncf-quelles-alternatives-pour-se-rendre-au-travail-3605090[9]CHANUT Jean-Christophe, “Les paradoxes de la syndicalisation en France” in La Tribune, 4 août 2014, [consulté le 11 décembre 2019]. Disponible sur : https://www.latribune.fr/economie/france/le-taux-de-syndicalisation-se-maintient-a-11-en-france-571857.html[10]CHANUT Jean-Christophe, “Le taux de syndicalisation se maintient à 11% en France” in La Tribune, 17 mai 2016, [consulté le 11 décembre 2019]. Disponible sur : https://www.latribune.fr/economie/france/le-taux-de-syndicalisation-se-maintient-a-11-en-france-571857.html
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Références